à partir d’elles

Au Bal, À partir delles, Des artistes et leur mère, je pense terriblement à ma mère, aux chantiers abandonnés, il faudrait retrouver une routine, la tension nécessaire pour au moins rouvrir les fichiers, regarder les films. Nous nous enfonçons un peu dans le 9ème arrondissement, nous nous réfugions (il pleut il fait froid) dans un restaurant Hongrois, présence fantôme d’Anne-Marie Garat, la connivence avec notre voisin de table au moment du dessert, le sentiment du manque en pensant à Nina.

C’est la deuxième fois que je rêve de Marion en quinze jours, je devrais prendre de ses nouvelles. Cette fois elle habite à Granville, je lui rends visite en quête d’une chose que j’ai déjà oubliée, je trouve une liste qui prouve je ne sais plus quoi, j’appelle mes parents pour leur dire la vérité, je rentre en prenant un bus, à mi-parcours, je réalise que je n’ai pas pris de billet.

L’enfant juché sur le muret pour pouvoir tripatouiller l’arbre, le métal de la rambarde s’enfonce dans son abdomen, je me demande s’il ne risque pas de tomber en contrebas sur le stade, combien de mètres ? trois peut-être… il n’y a pas d’adultes autour de lui, pauvre folle de penser des trucs pareil, je m’éloigne. Les jours suivants je suis rassurée de ne pas découvrir dans les journaux un titre évoquant la chute mortelle d’un enfant dans le 10ème arrondissement.

Elle m’envoie un texto, me demande si on a prévu quelque chose pour l’anniv de papa, je lui dis que non, qu’on fera avec elle, Tu arrives quand ? Bah je voulais faire une surprise. Nous gardons le secret.

Et les gens se plaignent de la pluie. Nous nous retrouvons une ou deux fois l’an, notre dialogue à trois est de plus en plus direct, essentiel, le lendemain je leur écris que nous quittons nos oripeaux de mères, nous n’avons presque pas parlé de nos enfants.

Quand même les scénaristes ont du bien rigoler en écrivant la scène de la princesse Anne sortant de sa caisse où elle écoute David Bowie, et de la faire entrer dans Buckingham Palace chantonnant Starman, La, la, la, la, la… La, la, la, la, la… La, la, la, la, la…

Starman, Alice Diaz
photogramme — heures indues

Avec Alice nous regardons notre journal vidéo, nous jouons aux devinettes. les plans sont suffisamment anciens pour que parfois nous nous demandions si nous en sommes bien les réalisatrices. La chambre niçoise de Nina apparaît à l’image, Alice s’extasie, c’est une chambre de princesse, sa chambre c’est Peau d’Âne en mode grunge. Le soir, l’arrivée surprise de Nina, la joie de Philippe.

quitter l’île et rêver (se)

Au moment de m’atteler au journal réaliser que je n’ai pas fait de photographies depuis notre retour, prolonger le voyage, au moins en images.

Quitter le balcon sur la mer, rejoindre Bastia, parcourir la ville du nord au sud, de la rue Droite aux hauteurs du boulevard Graziani, on a mangé des migliaciolli face à la mer, au fil de la journée le bleu a pris la place, justifiant le rituel goûter de glace noisette chez Raugi. En montant sur le Vizzavona, satisfaction d’un beau soleil, je fais une dernière photographie — la citadelle, avec le Yashica. On voit se projeter sur le pont inférieur des ombres mouvantes qui ne sont pas les nôtres, j’ai pensé que c’était mes fantômes qui m’accompagnaient au moment de quitter l’île, puis nous découvrons la terrasse dont nous n’avions pas vu l’accès. On longe le cap, on essaie de repérer la maison d’Erbalunga, la lumière est loin d’être idéale pour filmer, photographier. Un peu assommés par le soleil on se réfugie un temps dans la cabine. Quand nous nous décidons à ressortir, nous sommes au bout du cap sous averses, je photographie compulsivement les monts, les nuages, les lumières d’orages.

Marseille. Aurore flamboyante derrière la ville depuis le pont, quelques heures à tuer, petit déjeuner au comptoir Dugommier, passage devant l’entrée du Lycée Thiers, café cours Julien, oublier la violence du type avec regrets de ne pas l’avoir douché d’un verre d’eau, la Plaine, Longchamp, depuis le train apercevoir les fenêtres ouvertes de La Marelle.

Une de ses scènes préférées, c’est le mot qu’elle emploi, scène, c’est celle de Roland dans la voiture, avant qu’il ne quitte Monique. Ce qui me touche c’est que cette scène je l’ai complètement imaginée, elle est pure invention, il y avait seulement cette photographie, porteuse de sa propre fiction, mais aussi nourrie de toutes ces autres fictions qui m’ont traversées, surtout des scènes de film.

Ce que je découvre de sa vie, je devrais dire ses combats, me bouleverse, je lui demande si je peux, nous nous étreignons, nous ne devrions jamais renoncer à nos besoins de tendresse.

Le terrible blues de la reprise cède à un semblant d’élan retrouvé. Chercher de nouvelles manières de faire, les mettre en œuvre, s’y coller vraiment.

J’avais oublié mon jeu préféré pour le voyage, j’étais de toute façon trop chargée, chaque samedi c’est le rituel qui clôt la semaine que je déroule dans le journal. Reverse, je ne pouvais pas rêver plus étrange perspective pour revenir à l’écriture.

ici les morts

nous marchions sur la brèche d’un monde tremblant. autour les corps pliaient leurs craintes sous le désordre du ciel, avançaient comme nous dans la rumeur d’une défaite, se demandaient qu’avons-nous fait. étaient désœuvrés. il fallait tisser des liens nouveaux.
ce n’était pas la superbe attendue, il manquait la lumière. c’était la mélancolie des corps flottants devant les fenêtres. ces images qui te hantaient depuis novembre, des pensées suspendues, des rues abandonnées qui descendaient vers les rives, c’était de la ville ce que tu retenais. rien ne te liait au fleuve mais tu n’étais pas là par hasard. il fallait se perdre dans la ville usée. il fallait faire corps avec sa fragilité. ses vacillements. ses fenêtres brisées. ses portes ouvertes vers la terre. on avait frotté les linges poing contre poing, la toile tendue. on avait lavé les épanchements secrets, on avait vrillé le coton. la mémoire de notre enfance enfouie dans les plis surgirait, ça sonnerait comme un retour aux sources. nous ne pouvions plus marcher sans penser à elles, leurs peaux absentes, leurs bras forts leurs bras blancs leurs bras tendres leur bras ronds qui se battent avec le vide, suspendent le chagrin aux fenêtres. parfois elles avaient des remords, elles ravalaient les fantômes, les ramassaient dans l’obscurité, mais lentement, pour ne pas effrayer les autres. au fond des lavoirs on noyait les souvenirs, les lamentations. on les embaumait de feuilles mortes.
maintenant, dans le désordre des reflets nous devinons des sourires, nous sourions à notre tour. ici les morts s’obstinent, ne nous oublient pas.

musique Stewen Corvez

nos plans sur la comète

Froid mordant qu’on n’attendait plus, j’ai une pensée pour les fleurs imprudentes. Au parc Montsouris, les mains frileuses, le Yashica trop lourd, je peine à prendre des photos. Les yeux aux ciel, premier quartier de lune.

Je prends mes billets pour Nice, Nina me dit la joie que ça lui fait, nous faisons chacune nos plans sur la comète, des marches sur le mont Boron, des cafés sur la plage, l’exploration de la Villa et le musée Matisse, empêchés la première fois, peut-être même découvrir le reflet de la Corse dans les basses couches d’air.

Une médium s’abonne à mon compte Instagram, elle se définit comme messagère spirituelle, vit au Québec. Peut-être que je parle un peu trop de mes fantômes. Insomnie. Sous le drap chercher son contact, sans le réveiller, cheville contre cheville, trouver l’apaisement dans ce peau à peau.

+4 degrés, et ce scénario ne serait pas le plus pessimiste. Sur le net découvrir un article, Pour refroidir la Terre, faut-il de la poussière de Lune ? Je ne lis pas la suite, la poésie du titre me suffit, même si ça ne lutte pas contre l’incertitude, se recroqueviller.

Sa main attrape mon col pour rapprocher nos visages, on dit à vélo. Ça me fait rire, et sa délicatesse de ne pas exposer la faute à tous me touche. Comment on en arrive à parler des tiroirs vides après la mort de ma mère, je ne sais plus, mais elle se souvient d’une grande jupe noire à fleurs que Pierrot lui avait léguée, tiens si je la retrouve dans mon déménagement je te la donnerais.

Nous avons diné près du poêle, il y avait des reflets rouges sur le canal. Depuis l’autre rive le quai était comme une scène étroite traversée par les joggeurs et des cyclistes. Je fais un plan, en pensant aux rushes qui s’accumulent sur la carte SD, et dont je ne fais rien.

R m’envoie les premières pistes pour la couverture de Comanche. Heureuse de l’évidence de la photographie que j’ai choisie. C’est bien la seule chose sur laquelle je n’ai jamais eu de doute, cette photo — sa beauté et son mystère—, ce sera la couverture. Plusieurs fois dans la journée je vais ouvrir le fichier et c’est une joie immense.

en face

Les vases communicants, épisode 6, avec Myriam OH.

en face (images Myriam OH / texte et voix Caroline Diaz)

Tu ne sais pas pourquoi tu es revenue mais ça te rapprochait de l’enfance. Le jardin semblait abandonné, l’air métallique endormait les arbres. Avant d’entrer dans l’immeuble tu as jeté un œil au balcon désert. Tu as monté prudemment l’escalier, ta main timide sur la rampe en bakélite tu as murmuré aux ombres N’ayez pas peur. Sa silhouette frêle t’attendait derrière la porte entrouverte, le mascara de la veille ombrait ses paupières enflées, tu as pensé : comme elle lui ressemble. Le temps hésitait, la lumière tremblait comme pour ranimer des souvenirs, tu apprivoisais l’épaisseur du silence. Le chat en traversant le balcon t’a fait sursauter. Tu ne sais pas pourquoi tu es revenue, peut-être cette image d’Alger aperçue dans un de ses films. Tu ne sais pas si elle y a vécu, tu ne sais pas si elle y a des souvenirs, tu n’oses pas lui poser la question. D’un regard tu as attrapé le carrelage flambé, les meubles bruns, les voilages synthétiques, tu as fermé légèrement les paupières, la lumière te recouvrait, ravivait l’enfance — Tu dois te sentir bien ici. Le chat avait sauté sur la rambarde du balcon, tu n’as pas peur qu’il tombe ? Elle a allumé une cigarette, elle a souri. Tu veux un café ? Sa voix avait changé, voilée, plus basse. Elle a mis de l’eau à chauffer, de l’instantané ça te va ? Tu as traversé le salon, sur la rambarde le chat taquinait une peluche éventrée, derrière on apercevait les bâtiments d’en face, ceux où tu savais avoir vécu, tu ne te souvenais pas de leur blancheur lessivée. Entre tes doigts le verre ambré brûlant de faux café, la lumière tremblait encore. Ici commence le vertige. Une sensation d’été lointain, la chaleur. La chanson de Nina Simone. Tu as eu l’impression qu’elle était là, avec vous, celle que tu avais été cet été là, qui trempait un sucre dans le café des adultes. Maintenant la peluche gisait au sol, son rembourrage s’échappait du flanc gauche, le chat avait disparu. Tu veux visiter ? En longeant les murs blanchis, tu ne reconnais rien, ni l’espace rétréci, ni le mobilier, ni les tableaux. Seulement cette boite à bijoux en bois sculpté dans la chambre, tu l’avais ouverte enfant alors que les adultes jouaient au bridge au salon. Tu avais caressé le relief émaillé des colliers kabyles, l’odeur du métal était restée longtemps sur tes doigts que tu portais toujours aux narines. Tu glisses l’index sous le nez, un réflexe. Rien que l’amertume du café soluble, mais dans le noir et blanc de la photo de Brel, posée sur la commode, un reflet d’enfance

et les mots de Myriam sur mes images :

rompez

rompez nuages rompez le poids de l’air d’averses tièdes. rompez les bombes. rompez le fer l’acier le sang. rompez. aveuglez-moi. videz la nuit. traversez le miroir. hantez-moi de douceur. venez venez. venez voir. sortez de dessous les pierres. riez incrédules. riez les morts. riez avec nous, rions amers, ensemble. rompez. rendez-vous les morts. pointez vos cœurs ouvrez les mains donnez-nous l’oubli, donnez-nous le silence à la fin, on a bien assez ri. reviens, reviens vite. reviens-moi. laisse moi ta joue sous mes lèvres. rappelle-toi. rappelle-toi la pluie. rappelle-toi le deuxième mouvement. rappelle-toi le regard de Youri. rappelle toi le chant de la jeune fille blonde, écoute sa voix perdue entre deux rives. ferme les yeux si tu préfères. mais n’oublie pas, n’oublie pas de respirer. viens, tremblons. viens, arrache-moi au désastre. si tu veux bien tutoie-moi. assourdis-moi. desserre-moi. échappe-moi. regarde regarde les magnolias. dis-leur. ployez magnolias, sous le vent de mars ployez encore.

musique Stewen Corvez

ce moment où rien ne bouge

On est arrivé par l’ouest, on volait très bas, en longeant le cap, j’aperçois la maison où nous n’irons pas cette année, déjà Bastia apparaît. Puis la route, le pincement au cœur quand à Barchetta surgit le panneau indiquant la direction du village maternel. À Urtaca le ciel tenait sa promesse de feu, les hirondelles faisaient la fête.

Se familiariser avec la maison, sa circulation, ses volumes. Des mêmes sols carrelés, des mêmes bibelots accumulés, des mêmes murs blanchis, des mêmes portes hautes. D’ici on n’entend pas la mer, mais au petit matin des voix de femmes dans le village, leur accent plus léger que celui entendu dans l’enfance.

Des aboiements, on sait le moment où ça bascule, aux cris des bêtes s’ajoutent ceux des maîtres, on n’ose pas regarder, les hurlements envahissent le village, mes jambes tremblent, un jeune homme passe en contrebas de la maison, son chien dans les bras, depuis la terrasse on lui demande si tout va bien, il nous rassure en anglais, au loin encore des cris, un maître a été mordu, il refuse l’aide de notre amie médecin.

Entre la route et la plage, les pins, les eucalyptus, les oliviers, ce parfum. Traverser le Reginu, les roseaux se plient dans un même souffle. Je regarde mes amies qui discutent dans l’eau, leurs silhouettes un peu alourdies, brutalement ce sont les corps de ma mère et de sa sœur, leurs paroles, leur intimité un été dans les années quatre-vingt-dix.

Nous partons vers Lama à pied où B nous rejoindra en voiture. Le sentier longe la montagne, la nature résiliente — un vert intense que j’avais oublié — une bergerie, des roches aux formes bestiales, sous les pieds le roulis des pierres, à l’ouest l’horizon s’illumine. Le village apparait, toujours cette impression d’austérité de loin. Après le dîner un voisin engage la conversation avec Valérie, on nous sert des liqueurs, je m’amuse de ce rituel d’un autre temps. Nous rentrons en voiture par la vieille route, on roule à quarante mais ça cahote, les feux ouvrent la voie, déroulent la surprise d’un virage, nous chantons.

Chaque matin je traverse cette pièce, comme à Erbalunga je traversais la terrasse avant le réveil de la maison. Ici il n’y a pas d’aurores spectaculaires, mais je veux saisir ce moment où rien ne bouge. Sous les fenêtres la radassière appelle des conversations, je ne peux m’empêcher d’imaginer les fantômes qui s’y retrouvent la nuit. Sous le rebord de la fenêtre deux nids d’hirondelles, j’écoute les piaillements d’oisillons.

Dernier jour, en repliant mes draps je réalise que filmer m’empêche de photographier, que je n’ai rien écrit durant la semaine, que je me suis seulement laissée traverser par les lumières, les cris des hirondelles, les odeurs de maquis. L’avion est retardé, ce n’est pas la première fois, comme s’il fallait renforcer cette croyance que quelque chose me retient ici, renforcer ce sentiment d’appartenance contre lequel j’ai lutté durant des années.

rêver fantômes

J’ai découpé l’intégralité de Comanche, une quarantaine de séquences, c’est une feuille de route, je m’autoriserai les chemins de traverse, les surprises.

La lune fragile, le reflet rose des nuages, faire des photos au quotidien rend les saisons plus tangibles, l’eau se fige dans les flaques, ce n’est pas l’hiver mais ça y ressemble.

Il m’arrive en m’approchant de la station vélib de ne voir plus qu’un vélo accroché, de lancer une prière muette Pitié qu’il fonctionne. Il fait nuit, je roule doucement comme depuis l’accident, ma vision se trouble, une feuille morte glisse sur l’asphalte humide je la prends pour un animal je sursaute.

Mon frère m’écrit Tu ne te souviens pas, et pourtant tes mots sonnent juste, tout est très « réactivé » quand je te lis. Et si en fait, tu te souvenais de plus que tu n’en as conscience ? Je ne me souviens pas, mais si j’écris c’est pour tenter de faire surgir des choses de l’oubli.

C’est un quartier où je ne vais jamais, cette fois j’y avais rendez vous, à l’heure du thé en décembre il fait nuit, j’ai mon appareil photo, il y a des lumières de fêtes de l’autre côté de la rue de Rivoli, un sordide marché de Noël, churros et foule, mais le petit garçon trop grand dans le manège des Tuileries, ses jambes trop longues dans le vide sous la nacelle j’imagine son regard dans le vide aussi.

La règle du jeu, toujours le même émerveillement devant la nature, les arbres nus, la lumière, une vérité, Geneviève au marquis Ça m’ennuie de souffrir seule. Mes pauvres arbres flous ne sont pas à la hauteur.

Rêver fantômes, Jacques et Annie, dans une vieille maison que je connais déjà, transformée en institution, elle le visite, je dois les rejoindre, l’infirmière me couvre le bras droit de betadine, je les aperçois à travers la porte entrouverte, leurs corps flous et brûlés de lumière.

Nous les arbres

Nous les arbres, nous les pins secs ombrons le sol sablonneux, nos aiguilles s’épandent en champs tièdes et immobiles sous l’air menaçant, l’éclat brut du jour perfore nos cimes, se pose en taches claires à nos pieds, illumine en dansant le piétement métallique d’une table de camping, un terrain de pétanque improvisé, le front d’une fillette alignant les pelotes de mer qu’elle a glanées sur la plage. Nous nous accoutumons à la présence joyeuse de ceux-là, leurs pique-niques bruyants, leurs cafés noir, leurs parties de cartes. Nous écoutons les secrets chuchotés derrière nos troncs roux, pouvons même nous attendrir quand la petite nous étreint dans ses bras menus. Mais nous les pins centenaires préférons la magie des flamants rompant le ciel. La vigueur du soleil. L’obstination des fourmis. L’air salin soufflant dans nos rameaux. La brûlure du couchant. L’envoûtement du soir. Le glissement furtif des oiseaux de nuits. Nous les pins courageux nous nous ancrons dans le sable en racines longues, sais-tu ce qu’il y a de racines dessous le sable, de mélancolie enfouie. Nous veillons. Nous nous demandons souvent par quel miracle nous avons échappé au feu. Nous les pins prétendument timides sous la caresse du vent, nous chantons, nous résistons aux tempêtes, combien de temps encore ? Réserve naturelle. Inondable. Remarquable. La mer. Oui, la mer toute proche, sa langue mystérieuse encore assourdie, méfions nous. Bientôt nous entendrons le fracas des vagues, bientôt la mer sera à nos pieds après avoir englouti la plage. Les jardins s’écrouleront, les sages pins parasols — nos frères — tomberont de tout leur long au pied des maisons, il y aura des branches sur les toits. Les villas arrogantes seront ravagées, emportées. Nous les grands pins nous dresserons devant les vagues ahuries, cramponnés à nos racines profondes. Ce sera un bien étrange duel.

Texte écrit sur une proposition de François Bon, dans le cadre de l’atelier hebdo & permanent

le goût de l’eau

ile d'Elbe

l’île d’Elbe

d’où me vient ce goût de l’eau je dis l’eau c’est la mer le goût de la mer le goût au sens propre même boire la tasse ça me plaisait le goût du sel dessus le sucre d’une boule coco aussi sa force la mer comme elle apaise comme elle berce noie le goût des larmes comme elle ploie sous la lune sa pulsation d’un geste elle te soulève un vertige à l’envers jouer de ses emportements en lente dérive et puis la promesse qu’à l’aube scintillante elle te fait doucement à l’oreille elle te susurre un jour c’est par la mer tu verras qu’il ressurgira

Texte écrit sur une proposition de François Bon, dans le cadre de l’atelier d’été