c’était l’aube

c’était l’aube. traversait le long ciel de nuit somnambule. frôlait le sommet des arbres dénudés. c’était l’aube. ne dormirait pas, le rideau écarté, l’ombre. l’aube son silence, un reflet de lune, le merveilleux d’enfance. l’aube déplaçait lentement l’ennui. fixait les yeux au mirage amer. c’était l’effacement des étoiles dont on ne connait pas la place. c’était l’aube, son odeur de pluie froide — ivre. c’était l’aube. rompait les songes. les paupières s’ouvraient sur les mondes en dedans. les colorations électriques palpitaient dans l’obscurité. la vie revenait — son corps lourd immobile, son reflet noir sur la vitre, le silence. c’était l’aube — ciel et mer encore confondus d’encre. la nuit vacillante. c’était l’aube brève, suspendue — un renoncement. s’accrochait au dernier rêve. retrouvait les présents. un air moelleux avant l’impatience du jour. le ciel changeait. c’était de l’heure bleue comme d’une manière noire faire surgir ton visage.

pour la revue Les villes en voix

semaine Vila Adèle


Le temps long du voyage, les amies et la cadette à l’arrivée, se coucher dans le même lit qu’elle, nos mots échangés tard dans la nuit, se souvenir du soir du 13 novembre, de l’impossible consolation. À travers la planches disjointes de l’abri de jardin sentir l’air frais de la nuit, la nature proche, intense, les grognements en bas du vallon, les glissements furtifs du chat, une aubade folle avant le lever du jour, deviner les lueurs derrière le figuier, savoir déjà qu’il sera compliqué de lire, écrire dans les jours qui viennent.

Retrouver le décor familier du Pré des merles, fanions et lampions colorés entre figuiers et mimosas, la pierre gravée de la Vila Adèle (s’émouvoir de « Vila » orthographiée avec un seul « l »), sentir les premières morsures des petits tigres, les soulager dans l’eau chlorée. Chants et guitares sur la place du village, les cornets de churros salés.

La menace du chien errant, les cris de M, la peur rétrospective, le maître imbécile et sa bouteille de champagne en forme d’excuses. Depuis la terrasse bondée au fond de la vallée du Riou Fred, la Blanquière rejoint la nuit, les corps s’oublient dans l’alcool et dansent, je fais illusion en remplissant mon verre de Schweppes — le gin to’ est en vogue par ci —les yeux de N dans le lointain, elle s’éloigne sur le chemin à l’abri des regards.

Descente au plan de Linéa pour déguster la socca du cousin, trois cent degrés dans le four à bois, la voute blanche, huiler la tôle, y verser la préparation à base de farine de pois chiche, la glisser d’un geste vif, impression que ces gestes sont réservés aux hommes — comme tourner a pulenda, photographier la phosphorescence de la piscine éclairée à travers le feuillage des oliviers, les marcassins mignons traversent dans les phares, guetter la lune montante au retour.


N redescend à Nice, léger pincement au cœur. Les quatre jeunes gens d’en haut prêtent leurs bras pour monter sur la planche une table en béton, ils acceptent volontiers les spritz que M leur offre en récompense, ils nous racontent poliment leurs projets d’avenir, l’un d’entre eux veut devenir pilote, fierté tenue muette. Les bûchettes dans le brasero rouillé, tentative de cuisson du reste de pâte à socca sur les braises — ratée — mais nous nous extasions quand même. Soirée longue fascinée par les flammes vives, les brindilles recroquevillées calcinées.

Nellcôte, Villefranche sur Mer, 27 juillet 2021

Journée en mer à Villefranche sur un voilier sans mât, je ne me risque pas à prendre l’appareil photo. La rade peuplée de yachts luxueux, nous rions du spectacle que nous leurs offrons. Nous jetons l’ancre en lisière des bouées, en ligne de mire la villa Nellcôte, regret de pas avoir d’outil adapté pour faire de belles images. Sauts dans l’eau délicieuse, jeux et chants avec les nièces du capitaines, bleus — on se fait toujours mal sur un bateau. Échapper à la houle qui me soulève le cœur, rejoindre à la nage la plage au pied de la villa Nellcôte, être seule, sentir la tension dans les bras qui n’ont pas crawlé depuis trop longtemps, se coucher sur les galets, observer le changement d’acoustique à l’abri de la crique, retrouver ce goût d’aventure de l’enfance, s’inventer un monde à soi, imaginer la vie au dessus, cinquante ans en arrière, grande tentation de gravir les marches qui mènent à la villa.

Se décider enfin à sortir l’appareil, arpenter les planches autour, cigales, oliviers, rejets, pierres, réminiscences, froissement d’herbes sèches sous les pieds, œil paresseux, peu de photos. Arriver à la campagne du dessus, A m’invite à boire un verre — de l’eau très bien merci — m’offre une pêche, elle évoque une chapelle à Saint-Antoine que je ne connais pas, promesse intérieure d’aller y faire un saut lors du prochain voyage en Corse, un frelon insistant met fin à notre échange. Dîner chez madame la maire et son époux, amis de mon amie, soupe au pistou et fromage furieux, discussion animée autour du projet de R d’interviewer les habitants de C : un film collecte de la mémoire du village.

Dans le train retour, heureuse d’être seule assise sur la place en Duo Côte À Côte, goûter le confort de l’anonymat, tenter de rattraper la paresse de la semaine, à l’arrêt Toulon penser tendrement à Brigitte C, redouter un flot de voyageurs, ça ne manque pas, une colo de grands ados à l’assaut du wagon, miraculeusement je conserve la place libre à côté, je reste seule. J’attrape le couchant depuis la fenêtre du TGV, pense avec bonheur à l’ouest bientôt. Je relis les textes à rassembler pour « faire un livre », et me demande ce que je vais faire de la nuit, de ses fantômes, de mes bords de mer.

Texte écrit sur une proposition de François Bon, dans le cadre de l’atelier d’été

aube

j’ai voulu photographier l’aube d’été
c’était déjà l’aurore
toujours le même éblouissement
le même feu
ne te fie pas aux couleurs
il y avait du bleu dans le ciel
et la mer n’était pas ce métal lourd
il y avait du rose dans le ciel
et la mer était bleue
il y avait un vent frais
le soleil était doux
ne crois pas au feu, ni au silence
à l’aube les oiseaux sont furieux