la promesse de l’allongement du jour

Sur le mur deux immenses photographies, le grain, le blanc derrière, je pense aux portraits d’Avedon. AM jeune, longues boucles et lunettes, et B, sa fille aînée le câlinant. AM nous parle d’un livre qui a compté pour elle, dont le titre est Traces. Au réveil je pense à MP, lui dire que j’aimerais bien récupérer ce livre.

La surprise de l’air doux en sortant, un air de bord de mer après la pluie, ça me réconcilie avec le jour. La lumière est chiche, les gros plans s’accumulent sur la carte SD.

La voix de mon cousin sur le répondeur m’apprend la disparition de Mimi. L’affaire du caveau ressurgit, à quelques jours de Noël. Avec mon frère on rit, on se dit qu’on ne peut plus reculer. On a tous à faire avec nos morts. Dans la semaine ma bravade s’effondre, je me console en regardant encore les films de Simon. J’ai cinq ans sur les genoux de Mimi, elle me fait agiter les bras dans l’air, me fait danser sur une chanson que je n’entends pas.

Magnifique lutte entre soleil or blanc et nuages plomb. Enfant j’avais un rapport plus étroit avec la nature et l’espace, je me représentais mieux les planètes, les inclinaisons, ce que signifiaient solstice et équinoxe. Aujourd’hui le solstice d’hiver c’est surtout la promesse de l’allongement du jour.

J’aperçois le cygne, pense qu’il ferait un beau plan pour notre journal vidéo familial (on ne sait pas encore ce que c’est, ce n’est que le début, chacun de nous, un court plan chaque mois). Pour le filmer j’accélère le pas, cours presque, dois monter sur la passerelle, revenir sur mes pas. Je l’ai filmé, mais j’ai oublié de le photographier, à l’heure d’écrire le journal je le regrette.

Elle m’appelle, s’inquiète, où je suis, si je vais bien. Il y a eu une fusillade dans le 10ème, elle ne sait pas de quoi il s’agit, j’aurais pu ne pas le savoir avant le soir. Pensées fugitives pour chacun d’eux, chassées vites, il et elles n’ont rien à faire rue d’Enghien, surtout à cette heure. Derniers achats au son des sirènes, effroi et dégoût, je décourage Nina d’aller boire un verre à Château d’Eau.

Tous les quatre, on s’installe autour des tables basses, rien d’une table de Noël, mais le champagne rosé devenu rituel entre nous depuis Elle et lui. Les paquets accumulés au pied du sapin, qu’on ouvre dans la soirée puisque dimanche on recommence en famille. On m’offre des livres de femmes, des fleurs à tresser, des cadeaux inachevés.

solstice d’hiver

Ce matin à l’heure d’écrire le journal, essayer de revenir sur la semaine écoulée mais tout s’efface, me reste seulement des bribes. L’achat d’un agenda pariant que 2022 serait différente des deux années précédentes, différente ça voulait dire faire des projets. Le déjeuner avec M et G, nos rires autour de nos crêpes. Le solstice d’hiver, écourter la journée de travail pour en attraper la lumière. L’appel de ma grande sœur, l’appel de mon grand frère, l’appel de ma petite sœur, l’accord tacite, cette manière d’éviter Noël entre nous. L’arrivée de Nina. Les préparatifs de Noël. Daniel Bourrion me l’a promis, Moi président, Noël sera interdit. Une disparition. Notre soirée tous les quatre, les attentions, les jeux. Un message de Slimane depuis l’Algérie qui me rend très joyeuse, fait ressurgir la chaleur d’un premier mai à la terrasse de l’East Bunker.

Au moment de me coucher je pense à Delorme, des mois que je n’ai plus de nouvelles — j’ai plusieurs fois envisagé le pire, trop de messages restés sans réponses, je ne connais pas sa famille, n’ai pas d’autres moyen de le joindre que son téléphone —, il est minuit passé, j’envoie un message, il apparait distribué dans la minute, ça me rassure.

Ce matin à l’heure d’écrire le journal c’est Noël, mon téléphone sonne, c’est Delorme. Sa voix joyeuse me remercie pour mon gentil message, il a une chambre en maison de retraite, il peut voir sa femme facilement comme ça, il me parle vite, il a peur de me déranger, je suis indépendant, je prends ma voiture, je vais voir la maison de temps en temps, je vais la vendre — je revois leur salon blanc, il me demande où nous allons passer Noël, abrège brusquement la conversation. Trois minutes après il me rappelle, j’ai oublié de te dire, avant de venir m’installer ici j’ai vidé la maison, je suis retombé sur mon carnet de vol, je l’ai feuilleté, tu sais lors de nos entrainements on volait d’abord avec un instructeur, puis en solo, après on faisait des vols en binôme avec d’autres élèves, et bien mon premier vol je l’ai fait avec ton père.