l’appel impérieux de la lune

Attendre le sommeil, mains posées sur le corps comme deux parenthèses, une au bas de mon ventre, l’autre sous la poitrine, semaine insomniaque, je me demande ce que je guette ou ce qui me guette dans la nuit.

Elle voulait qu’on se voie, parce que j’avais suivi toute l’histoire, elle voulait me montrer son sourire retrouvé, nous avons déjeuné au soleil, nous avons beaucoup parlé, je suis repartie légère, peut-être parce que je ne me souvenais plus à quel moment j’avais cessé de m’inquiéter pour elle.

Je suis en avance, profite des lumières sur la Seine, Paris merveilleuse, hors du temps. Le restaurant n’est pas encore ouvert, mais les chaises en terrasse me tendent les bras, je renonce à observer les passants, mes pensées naufragent dans la lumière du soir.

À deux sur le Vélib, la petite trentaine, (elle joyeusement) voilà mon chou Taxi Vélib ! putain c’était trop bien, ça fait du bien hein ? (lui) qu’est-ce tu fais ce soir ? (elle toujours plus vive) je vais aux Gémeaux, je vais voir Ibsen, et toi t’es où? (lui désinvolte) à Montreuil, quand je rentre vas y je t’appelle et on se chauffe, (elle) oui, allez salut frère je t’aime.

Je quitte la rue Daguerre coté Maine, trouve un Vélib, me perds sous la douceur insolente, grande boucle avant de retrouver le Lion de Denfert, tours et détours, rue de Tolbiac j’imagine que Philippe n’est pas loin, si je n’étais pas chargée, si je ne devais pas répondre à une obligation professionnelle je l’appellerais pour qu’on se retrouve, je me perds encore, interpelle un cycliste qui me conseille le boulevard de l’Hôpital, en traversant la Seine je maudis mon chargement qui m’empêche de m’arrêter pour photographier la ville.

Une vidéo de Michel Brosseau, se souvenir du jardin de la maison du fond. Comme ma mère s’est prise d’amour pour ce jardin, à en tailler les rosiers, à en rayer le sable avec le râteau à feuilles, le son métallique des dents souples. Le puits condamné, l’arche métallique, l’illusion de cabane, les plates bandes cimentées, les tulipes, Odette au jardin voisin avec laquelle elle discute. Comme elle s’est coulée dans cette vie de province. Et le petit carré de terre qu’on m’avait octroyé.

Avignon, Brigitte Célerier
Paris, Caroline Diaz

Chez Brigitte Célerier, découvrir cette photo de la lune, presque pleine, blanchie de soleil, je prenais sans doute la mienne à la même heure, à quelques sept cent kilomètres, me plait d’imaginer l’appel impérieux de la lune, et nous deux reliées par ce même geste, similarité troublante du cadre, et l’avion minuscule qui traverse le ciel.

revenez vite

La lune nous offre une de ses merveilleuses apparitions, spectrale, affirme lentement sa présence, je me souviens de la première fois où nous l’avions vu se lever ici sur la mer, de notre confusion passagère — que fait le soleil, d’apparaître à cette heure ? On imagine planifier notre prochain voyage autour d’un lever de pleine lune sur la mer.

Pour la première fois j’ai passé dix jours dans la maison, je suis de fermeture et plus sereine que d’habitude. Dans l’avion, ma déception d’être à la droite de l’appareil vite oubliée, nous coupons vers l’ouest, je peux photographier le lido étroit, Bastia minuscule, où je promène les silhouettes de mes aïeules.

J’écris pour l’atelier, ouvrir des voies, tout est encore très confus, mais j’aime mes / j’ai mes personnages, je sais d’où elles viennent et ce qui nous lient me tient. Rien d’autre ne m’intéresse que de maintenir ou recréer ces liens, l’intimité.

Un caillou dans la chaussure. Les records de chaleur sur Terre battus deux fois cette semaine — ça m’écrase de l’entendre. Je regarde compulsivement les sites météo pour tenter de me rassurer.

L’enfant est comme un papillon, il s’arrête devant les étincelles que la meuleuse produit sur le métal, il traverse le pont puis se ravise, contemple la péniche prisonnière de l’écluse, plus loin ramasse une feuille, la patience du père me réconforte.

Elle m’appelle comme souvent au moment où elle prépare son repas, cette fois me demande ce qu’on met dans la salade de pâtes, elle ne comprend pas pourquoi elle ne retrouve pas le goût d’ici.

Après la micro inquiétude du matin — des interdits préfectoraux, des trains supprimés, retrouvailles dans le jardin de Nathalie. Nos bouts d’histoires me fascinent, tout est signes, résonances. Après votre départ le portail s’est bloqué impossible de fermer … alors revenez vite

y croire

Dans la rue l’homme est couché sur le dos à même le sol ses yeux entrouverts ses bras bougent très lentement tendus vers le ciel — ne pas savoir quoi faire.

Avec Alice nous descendons le canal pour rejoindre la manif, déjà une grande ferveur, être là si nombreux·ses. Le papi avec son carton accroché autour du cou, dont la première manif remonte à 36, il devait pas être plus âgé que la gosse sur les épaules de son père. Celui qui gravit l’échafaudage pour coller sa pancarte, il argumente avec un habitant du deuxième, l’imbécile du cinquième décide de l’arroser et se fait huer par la foule. Les gamines à l’arrière du camion, celle qui fêtait son anniversaire, celle qui hurlait dans le micro, celle aux cheveux roux — sa grâce, que j’aurais voulu photographier davantage, déjà les yeux et la gorge qui piquent. On prend la rue Godefroy Cavaignac, j’indique à Alice l’immeuble où vivait Marine Tollet, la Belle Équipe est fermée, on se réfugie dans un bar avenue Ledru Rollin.

J’entends les premières mesure d’un morceau de Supertramp, me reviennent ces stratégies pour donner le change, faire semblant de connaître la chanson en fredonnant quelques notes, les chemises de Jacques piquées dans le sac à linge pour avoir l’air cool, les cheveux ébourrifés avant de sortir, me faire croire que j’étais à ma place dans cette chambre d’ado à Marseille.

Je suis comme toujours en avance, je n’ose pas m’éloigner du lieu de notre rendez-vous pour prendre des photographies, me contente du collage du 1er mai. Adnane arrive, il me dit que j’ai changé, il ouvre Comanche, il me dit qu’il s’attendait à un livre plus épais, avec des photos, plonge ici et là dans le texte, ce n’est pas l’objet qu’il attendait mais je sais que j’ai fait le bon choix.

Nous regardons Palombella Rossa, je crois que je voulais voir le film juste pour cette scène où la foule regarde à la télé la scène du tram de Docteur Jivago, on a envie de hurler avec eux, RETOURNE TOI ! Magnifiques retours en enfance mais je suis passée à côté du film.

Au moment de me coucher elle était encore trop basse, cachée derrière les immeubles, mais mon corps savait, je me suis levée au milieu de la nuit —des lustres que je n’avais pas photographié la lune—, je n’ai pas osé ouvrir la fenêtre, elle se dédouble dans l’épaisseur du vitrage.

What would your closest friend do ? je choisis l’amie en fonction de la situation, je triche. Je commence à rassembler quelques affaires pour le voyage, m’aperçois que j’ai oublié de racheter une batterie de rechange pour le Canon, introuvable dans les grandes enseignes. Je remonte le boulevard Beaumarchais, dans une minuscule échoppe le patron sceptique ouvre un immense sac en plastique transparent qu’il vide sur le comptoir, il y en a une, il me dit que c’est un miracle, moi je commence à y croire.

parfois il faudrait juste effacer le texte

Ne retiens que cette sensation de soleil avant de rentrer. Vu le dernier Carax en famille, je suis clouée, émue, ça me donne une furieuse envie de faire des images.

Nous déjeunons au Chansonnier, Momo joyeux derrière le zinc, on dirait un enfant, qu’il joue à la marchande, il nous présente les brunchs avec emphase, nous demande notre avis. La lumière même si ce dimanche gris, les miroirs, les moulures, les lampes en opaline, l’espace, on imagine déjà le temps qu’on y passera à écrire.

Commencer la semaine, effarée de la vitesse, impression qu’écrire précipite le temps. Relire le déroulé précis de tous les gestes que mon père a du accomplir avant l’accident, c’est Anglereaux qui m’a envoyé ça, c’est fascinant, ces incises vers la fin, ses interrogations, je ne sais pas comment ça va entrer dans le récit, je suis loin de cette scène, l’émotion est forte.

Quitter le bureau en passant par Bastille, en quête d’un endroit suffisamment dégagé pour apercevoir la pleine lune, mais elle n’est pas là. Plus tard dans la soirée j’ai beau scruter le ciel depuis l’appartement je ne perçois que sa lueur diffuse, elle doit s’être levée dans mon dos.

Depuis le commencement de ce journal je m’astreins à plus de photographie, parfois la semaine est bien avancée je découvre qu’avec le manque de lumière, la routine du trajet, je n’ai pas eu envie d’images. Il y a aussi celles que je n’ai pas attrapées parce que je n’avais pas mon appareil. Cette semaine me manque le reflet jaune des nuages dans ciel azuréen le matin.

Nous parlons écriture avec Philippe, il me dit le désarroi quand écrire n’est pas ce qu’il veut écrire. Je lui dis comme je redoute les moments d’ennui avec Comanche, je suis toujours heureuse du temps que je passe avec lui, mais certains passages écrits réécrits lus relus parfois il faudrait juste effacer le texte, recommencer ou renoncer.

Les reliques de Noël scotchées sur les carreaux, je pense aux guirlandes façon boas métallisés que ma mère étalait sur les meubles, le parfum boisé de l’aérosol dépoussiérant, le papier kraft fausse neige, les santons héro¨ïques, je ne sais plus à quel moment je n’ai plus aimé Noël.