distorting time

Il a trop bu, porte un costume noir, il vient d’enterrer un ami, il entame un pas de danse, pirouette au sol, se redresse, ses bras comme des ailes, son regard se perd dans l’eau du port, il reprend sa danse folle et joyeuse, on est fasciné par la grâce, il s’envole.

Les deux hommes côte à côte paraissent d’abord immobiles, celui de droite se met lentement en mouvement, seulement les pieds, une chorégraphie entre cha-cha-cha et tai-chi. On attendait la pluie mais le ciel immuable demeurait blanc.

Je ne pensais pas qu’un jour le ruissellement de la pluie me rassurerait. La fille raconte aux garçons, il y a deux mecs ils ont violés une fille de leur équipe, en mode c’est leur nana. Rien ne va dans la phrase.

Le vélo a glissé, le guidon vient heurter le thorax, ça va madame ? Dans la soirée un hoquet me rappelle brusquement la douleur, je ne dis rien, j’entendais déjà les reproches inquiets d’Alice. Ferais l’aveu quelques jours plus tard, rassurée de respirer normalement.

J’aimai voir la main du père posée sur le dos de la fillette, entre impulsion et protection. Je ne la vois pas s’approcher, Oh nice, it’s a Rollei ? No it’s a Yashica, a Japanese one. Elle avait un accent italien. Beautiful. Je finis la pellicule, j’ai oublié cette fois de doubler avec le numérique, je regrette mon manque de méthode.

On voyait s’écarter les nuages, le bleu prenait progressivement sa place. Roxane m’envoie une nouvelle version de la couverture de Comanche, reste un ajustement de la couleur, la quatrième à déplier, mais on touche au but. L’impatience me rattrape.

Son visage m’est familier, tout en discutant avec A je lui jette quelques regards, on échange quelques phrases mais le lieu de notre rencontre ne me revient pas. Elle se lève, marche dans la boutique, se met à parler je ne sais même plus de quoi mais j’entends son accent. C’est à ce moment là, alors qu’elle disparait de mon champ de vision et que j’entends sa voix que je me souviens où nous nous sommes rencontrées. Le lendemain je retrouverais précisément son visage d’il y a vingt ans.

nos plans sur la comète

Froid mordant qu’on n’attendait plus, j’ai une pensée pour les fleurs imprudentes. Au parc Montsouris, les mains frileuses, le Yashica trop lourd, je peine à prendre des photos. Les yeux aux ciel, premier quartier de lune.

Je prends mes billets pour Nice, Nina me dit la joie que ça lui fait, nous faisons chacune nos plans sur la comète, des marches sur le mont Boron, des cafés sur la plage, l’exploration de la Villa et le musée Matisse, empêchés la première fois, peut-être même découvrir le reflet de la Corse dans les basses couches d’air.

Une médium s’abonne à mon compte Instagram, elle se définit comme messagère spirituelle, vit au Québec. Peut-être que je parle un peu trop de mes fantômes. Insomnie. Sous le drap chercher son contact, sans le réveiller, cheville contre cheville, trouver l’apaisement dans ce peau à peau.

+4 degrés, et ce scénario ne serait pas le plus pessimiste. Sur le net découvrir un article, Pour refroidir la Terre, faut-il de la poussière de Lune ? Je ne lis pas la suite, la poésie du titre me suffit, même si ça ne lutte pas contre l’incertitude, se recroqueviller.

Sa main attrape mon col pour rapprocher nos visages, on dit à vélo. Ça me fait rire, et sa délicatesse de ne pas exposer la faute à tous me touche. Comment on en arrive à parler des tiroirs vides après la mort de ma mère, je ne sais plus, mais elle se souvient d’une grande jupe noire à fleurs que Pierrot lui avait léguée, tiens si je la retrouve dans mon déménagement je te la donnerais.

Nous avons diné près du poêle, il y avait des reflets rouges sur le canal. Depuis l’autre rive le quai était comme une scène étroite traversée par les joggeurs et des cyclistes. Je fais un plan, en pensant aux rushes qui s’accumulent sur la carte SD, et dont je ne fais rien.

R m’envoie les premières pistes pour la couverture de Comanche. Heureuse de l’évidence de la photographie que j’ai choisie. C’est bien la seule chose sur laquelle je n’ai jamais eu de doute, cette photo — sa beauté et son mystère—, ce sera la couverture. Plusieurs fois dans la journée je vais ouvrir le fichier et c’est une joie immense.

Relire encore

Dimanche nous faisons une première marche depuis des mois, marquer le pas. Sous le soleil le bassin n’était plus qu’une cavité sèche. Pas de miroir, aucun reflet où se logerait le merveilleux, se contenter des ombres.

En mode super fun ? oui hyper happy ! Rue de Lappe, deux jeunes femmes, celle qui pose avec la paire de baskets, celle qui dirige, et le photographe. Tout est surjoué.

Fatigue et douleurs, relire la notice du traitement prescrit, cocher un effet secondaire sur deux, cette explication me rassure. À l’examen rien de grave, sous l’effet du collyre révélateur la vue se trouble. J’observe ma pupille dilatée dans le miroir de l’ascenseur, me revient une fascination de l’enfance, les heures passées à figer une expression, à questionner le double.

On avait dit rendez-vous au pied des marches, j’observe la foule immense en longs cordons devant les portes, il fait déjà nuit, je téléphone, on finit par se retrouver. Alice et sa grand-mère joyeuse entrent dans l’opéra, nous repartons avec M, d’un même pas ralenti dans la nuit déjà froide. Nous dînons tous les trois, c’est la première fois.

J’aurais du m’interdire le maniement d’objet dangereux, tout est allé très vite, la règle a glissé, la lame du cutter a tranché vif le pouce, la pharmacienne se tient à distance, ça saigne beaucoup ?

Cet hiver, des patients comme vous c’est deux sur quatre. Laisser glisser le jour, ne rien s’imposer, rentrer par la rue de Cléry, goûter la géographie tortueuse du faubourg, penser à mon cheval imaginaire.

R m’envoie des propositions de maquettes. Choisir la typo, le corps, l’emplacement des folios. Désormais Comanche pèse cent quarante pages. Relire encore. Cut a vital connection.

à côté des lumières

Quai de Valmy en famille, un vent glacé s’est levé, le ciel a bleui. Je passe à côté des lumières, ne prends le temps d’aucune photo, l’appareil photo est un poids mort.

Derrière moi la belle voix grave chantonne, cerf cerf ouvre moi ou le chasseur me tuera l’enfant supplie, encore, vouloir être cet enfant, je ne veux pas sauver le lapin, mais je veux entendre cette voix, encore.

La rue du faubourg Saint-Antoine fermée à la circulation, la mère fait poser la petite au milieu de la rue, sans doute que sur les réseaux la doudoune irisée sera du meilleur effet sur l’arrière plan noir du cordon de CRS et boucliers.

Si les zombies trainent des pieds c’est parce que les morts ne font pas de mouvements verticaux, ils marchent en se remémorant leur vie.

Mia madre. elle décroche des vêtements pour habiller sa mère morte, montre les tailleurs à son frère, je n’ai aucun souvenir de ce moment — choisir des vêtements. Avait on seulement eu le choix ? Il n’y avait plus grand chose dans les armoires. La dernière image que je garde c’est son corps minuscule sous le drap pâle. Je ne me souviens pas d’avoir pris la moindre décision.

Je te suis mais tu ne me vois pas, une feuille A4 pliée en deux, agrafée sur les côtés, un timbre, un cachet qui ne dit pas d’où est postée la lettre envoyée à mon adresse professionnelle, l’anonyme doit aimer pédaler dans Paris. Retour de MP, les corrections sont finies. Reste la quatrième à écrire. Et puis la maquette et la couverture que je vais confier à R, cette décision me réjouit, une nouvelle vie pour Comanche.

C’est notre anniversaire, avec son odeur de bleu outremer que je convoque en fermant les yeux. Rêver de chaleur, pourquoi tu ne vas pas aux Canaries ? Pourtant elle me connait. J’ouvre la petite boite noire d’Obliques Stratégies, tire une carte, Trust in the you of now.