
Dans le train retour filmer les rayons du soleil à travers les arbres, se demander si la première représentation du soleil rayonnant venait de ce qu’on l’avait observé à travers des feuillages ou des nuages — vanité des questions du dimanche soir, soupçonner la chaleur, le ventre lourd du repas familial, et le bercement du train.
Il a flatté la selle du vélo comme il l’aurait fait avec un cheval, me reviennent un visage d’enfant, un sourire, le regard brun de Laurence, l’accent italien de son père qui bricolait au jardin, les cordes nouées autour des guidons que nous agitions comme s’il s’agissait de rênes.

Dehors c’était un fracas terrible, pourtant le ciel continuait à se rayer de traînées de condensation. J’ai pensé au voyage à venir, ça me parait tout à fait irréel, nous quatre, dans une ville que nous ne connaissons pas.
Le jour tombe, sur les trottoirs humides des reflets de feux de signalisation, d’enseignes pharmaceutiques, quelques feuilles mortes, l’air chargé d’une douceur presque lourde. On marche vite, les terrasses sont bondées, on attrape des regards, des bouffées de vapeur sucrées, des ambiances changeantes, notre mouvement ressemble à une fuite, j’espère croiser un regard, un visage connu, rien.


Dès le départ elle a su, elle a joué à poser des questions, ce que ça voulait dire méditerranéen… Il n’a qu’un seul vin rouge mais délicieux, Il vient d’où ? Je vous demande parce que je suis libanaise — je souris, je fais la même chose quand je rencontre des Corses. Au moment de servir le café, le garçon de salle bien plus âgé que le patron, en inclinant légèrement la tête et avec beaucoup de douceur, Do you want sugar ?


Entre deux sommeils je pensais au projet endormi, je sais qu’il faut arrêter d’y penser, revenir à écrire. Au matin en lisant Gracia sur l’exil, je réalise combien les retours malgré le temps, les deuils, ne m’ont jamais semblés aussi nécessaires, comment mon lien — ou comme je l’écrivais à Gracia peut être celui que je porte hérité de la famille — à la Corse s’est révélé par l’absence.
Je finis le montage pour les prochains vases communicants avec Milène, réjouissances, plonger dans les archives, relier des lieux, des lumières. Beaucoup d’abstraction dans les plans même s’ils sont pour moi chargés de sensations, comment va t’elle les recevoir ? L’impatience déjà de découvrir ce qu’elle va projeter. Le moment où j’hésite à conserver ces images pour ma propre écriture est sans doute celui que je préfère.
