je ne sais rien de tout cela

Le film du dimanche, tous les quatre dans le salon, comme nous le faisions il y a des années, c’est Nina qui a demandé, on a regardé Le Village. Retrouver nos frémissements, nos surprises, ce que nous avions oublié de nos dimanches.

Nuit courte, ciel limpide, partir un peu plus tôt, dans la lumière et l’air plus tranchants. Traverser le jardin Villemin, découvrir sa mécanique matinale, les jardiniers, les endormis, les femmes sportives et leur coach militaire, le couple âgé — leurs mouvements lents dans le kiosque à musique. Près de la sortie de la rue des Récollets les jardiniers pulvérisent à grand bruit des branches de conifères.

L’anniversaire. Je suis traversée par l’envie de lui téléphoner ou de la rejoindre pour lui souhaiter, je me demande quel serait le transport le plus adapté, à ce moment là elle est vivante, ça m’arrive encore de le croire. Elle aurait eu quatre vingt deux ans cette année, presque une consolation, se souvenir à quel point elle ne voulait pas vieillir.

Le temps beau, le travail prend toute la place, ça prend même la gorge. Ouvrir une brèche, s’échapper. Je demande à Juliette si elle veut bien participer avec moi aux vases communicants imaginés par Philippe pour poursuivre les journées d’Évry. Elle dit oui — la joie comme peut-être enfant on se réjouit d’échanger nos images pour compléter les albums. Je me retiens de sortir pour commencer à filmer.

Le soleil frappe, le serveur nous demande Des verres d’eau avec les cafés ? Oui merci c’est gentil. Il s’éloigne en laissant filer un Allez chantant. Avec Philippe nous parlons de L’espace d’un instant, je le presse un peu. Ce qu’il me raconte, ses obsessions, la disparition, la ville, ça me donne soudain très envie de le lire, j’imagine le livre, j’imagine d’autres formes aussi. Une heure passée trop vite sous le soleil, je le quitte à regret pour aller travailler.

Penser à ce que je pourrais filmer pour Juliette, je n’ai pas d’intention, pas de plan, même pas sûre d’être plus attentive. Mais l’impression que la ville s’ouvre davantage, tout devient matière à. Là sur le trottoir des traces de peinture, des empreintes, je filme, il fait chaud mais je pense à de la neige, le blanc sale sans doute.

Après la pluie notre première marche — ça veut dire plus de dix kilomètres — depuis Athènes. Traverser le nord de la ville, rejoindre le parc Martin Luther King. C’est comme l’été, sous le pin Philippe se souvient de Bellebouche, je pense à la Marana, à mes pins corses qui s’effondrent dans la mer, à la maison d’Erbalunga qui a perdu son aile nord. Nous traversons le square des Batignolles, il y a la présence de Barbara, il y a la rue d’Amsterdam et d’autres rues qui portent le nom de villes du nord, il y a cette chanson, Je ne sais pas.

le silence du matin ça ne va pas suffire

On avait décidé de revenir du Lude par la mer, on avait oublié comme les rochers étaient nombreux, ou bien le sable avait été emporté par une marée, c’était parfois impossible de contourner les récifs d’hermelles, s’étonner de la désinvolture des plagistes au pied de la falaise qui s’est effondrée cet hiver.

L’accompagner à l’arrêt de bus, se souvenir devant cet arrêt — le même sauf qu’à cette époque là il n’y avait pas d’abri, mais c’était bien là, à mi chemin entre le bar des falaises et ce qui était devenu le village — se souvenir que durant l’hiver 80, avant Noël, il avait neigé, c’était rare autant de neige, sans doute pour ça que je m’en souviens, on faisait des boules grosses comme des oranges et on les balançait sur les façades fermées. Son bus a fini par arriver, je ne m’habitue pas tout à fait à la voir partir.

Longue marche avec A et P, chemins sur le plateau de Bouillon vers Saint-Michel des Loups, A s’émeut, s’accroche au paysage, tout lui parait merveilleux. Nous arrivons au village, assez désert, l’église au cœur, en surplomb, déambulation dans le cimetière qui l’entoure, A disparait, puis P parti a sa recherche, oh comme je déteste ce moment où je ne les ai pas vus entrer dans l’église.

Le couchant exceptionnel, trainer sur la plage pour rallonger le jour, qui aime les veilles de départ ?

Gestes rapides, défaire les lits, avaler le thé, refuser le café, descendre les valises, au moment de fermer la maison je reçois une photo de D par sms, c’est le bout de notre petite avenue de vacances, avec les deux bornes protégeant l’accès à la plage, le même gris, comprendre qu’il est là sans doute, c’est bien son genre, nous ne sommes pas encore partis, retrouvailles au pied de la maison, à la fois contents et frustrés alors que le taxi qui nous conduira à Granville va arriver, se promettre de se revoir bientôt. Derniers rituels avant le train pour Paris, le dimanche à Granville, le Plat Gousset, la piscine, la haute ville, la course des ombres sur la plage, la promesse de revenir l’année suivante.

Au réveil ouvrir la fenêtre de la chambre de N, surprendre l’ombre du bouquet de fleurs séchées sur le mur, revenir dans le salon, retrouver le silence du matin, celui consacré à écrire, se rendre à l’évidence, le silence du matin ça ne va pas suffire.

aube

j’ai voulu photographier l’aube d’été
c’était déjà l’aurore
toujours le même éblouissement
le même feu
ne te fie pas aux couleurs
il y avait du bleu dans le ciel
et la mer n’était pas ce métal lourd
il y avait du rose dans le ciel
et la mer était bleue
il y avait un vent frais
le soleil était doux
ne crois pas au feu, ni au silence
à l’aube les oiseaux sont furieux