pour voir

la première image qui t’est venue c’est celle d’un grain de sable collé dans ta paume petite un grain humide plat et brillant parmi au moins trente autres grains peut-être quarante brisures de roches au moins cent grains collés d’avoir creusé le sable à main nues — les hauts le cœur quand une puce de mer s’agite sous la pulpe des doigts — et des millions de grains soulevés pour creuser un refuge — ta maison tu disais — autour la grève le varech les méduses mourantes les fleuves minuscules le bruit des vagues le rire ascensionnel des mouettes. alors les dunes hachées d’herbes longues comme des ratures alors la digue le béton sa tubulure laquée de blanc tes jeux de funambules alors les villas la vie des autres à l’intérieur alors les falaises alors les nuages leur odeur sourde de pluie alors la plage presque vide — c’était morte saison — alors les bancs de sable des continents sous la mer une forêt sous le sable — personne pour s’en souvenir — alors les massifs métamorphiques la baie les archipels alors la route nationale que tu traverses yeux fermés pour voir alors la vallée la pulsation humide des arbres la terre grasse — un réconfort passager — l’ondulation des routes alors le ciel lointain son reflet sur la mer la distance qui sépare la marée de dix-huit heures ta maison rompue l’estran vierge alors le ciel trop lourd avec ses morts anciens alors le tremblement le jour fragile alors le silence des oiseaux les ombres voraces alors l’orage le monde immense et chaviré alors l’enfance soulevée ce qui s’en va la tentation d’effacement

texte écrit dans le cadre du défi écriture, les 40 jours, par François Bon

l’étincelle du jour


je ne sais pas si c’est la pluie, je devrais dire le déluge ou les annonces mauvaises, ça m’a rendue triste, il y avait la tentation de se draper dedans puisque décidément on n’est pas près d’en sortir — rien à faire ni la comédie pleine de bons sentiments (trop médiocre) à la télé du soir, ni la lecture des textes des participants à l’atelier d’été (pourtant Sarraute), ni la tentative d’imaginer une vraie lumière d’été sur la ville dans les jours à venir — juste envie de se cacher sous le manteau de brume mais s’inquiéter avant du retour d’une amie, elle a eu la gentillesse de me répondre, je l’ai découvert ce matin, surtout elle m’a demandé comment allait la « fille » d’Erbalunga, ça a été l’étincelle du jour, ça me plaît bien d’être cette « fille » là, de plonger dans l’album du dernier séjour, de contempler cette aube étrange comme un feu sur la mer, d’ouvrir la fenêtre sur la chaleur qu’il peut y faire dès le matin au mois de juin.

cette chanson

cette chanson — souviens toi — sa mélodie lancinante semblait flotter entre deux mondes, à présent tiens-toi là debout dans la chaleur du plateau, au bord du ciel, du vide immense, tutoie la peur, souffle ces mots, On dit ça, fais les tiens, suspends-les dans l’espace, enhardis toi, abandonne ce simulacre de sourire, si tu souris c’est avec tes yeux, ne sais-tu pas allumer un sourire dans ton regard ? traverse, avance encore, creuse le silence, c’est ta voix, la lumière — sa chaleur dorée qui te porte au-dessus du vide — engage ventre cuisses poitrine, laisse venir, épuise le verbe, tu es là, ce qui s’écrit n’a aucune importance, oublie les mots, souviens toi seulement de leur écho, des silences, écoute, rejoins l’obscur, l’abîme, fraye l’absence, tu te tiens là sur le seuil de votre histoire, approche toi de son regard, vois son sourire — c’était cela sourire avec les yeux — si le sol se dérobe : cède, tu seras juste, si dans la chute lente ton genou te fait mal oublie ce que tu y as enfoui, sa mémoire d’os, et, depuis l’effondrement rêve sa voix, empare-toi du vide dévorant, hante-le, frôle le vertige, tends-lui la main dans la distance abrégée, chante. Et quand ce sera fini, quand tu pleureras dans la loge d’avoir croisé son sourire dans le noir de la salle, le front brûlant dans tes bras repliés, dis-lui l’éblouissement, dis-lui qu’il n’oublie pas non plus de l’embrasser, peut-être sera-t-elle encore endormie, dis-lui aussi que le ciel est sans issue.

Texte écrit sur une proposition de François Bon, dans le cadre de l’atelier d’hiver, prendre