
Je visionne mes rushes pour les vases communicants, la ville s’absente des images, des plans fixes, serrés, proches de la matière, presque abstraits, comme si j’avais peur d’imposer un sens à Juliette.
À la terrasse du café je reconnais Lola Lafon, croisée deux jours avant quand nous allions joyeusement aux Batignolles. Nous ne retrouvons pas le même élan dans ces rues trop souvent parcourues, sous le temps qui tourne, la fatigue, nous rentrons, je lutte contre la frustration de n’avoir produit plus d’images.


Je traverse Paris à vélo d’est en ouest, du nord au sud, j’ai l’impression de franchir un cap, que ma vision, ma compréhension de la ville grandit. C’est une sensation forte, grisante, comme si mes poumons s’élargissaient. Cette semaine je vais la passer sur une prise de vue pour un livre créatif autour de Noël, étrangeté de créer l’hiver en été, y a plus de saison comme dirait l’autre.
Nous regardons Le clan des siciliens — je ne l’avais jamais vu, ma mère n’aimait pas Delon. Toujours la même fascination pour le cinéma de cette époque, le phrasé des acteurs, les codes, les couleurs, toujours cette illusion de m’approcher d’une réalité dans laquelle s’inscrivent le corps et la voix de mon père.


Le départ en Corse approche — rituel depuis bientôt dix ans. Sauf que cette année nous n’irons pas à Erbalunga, mon amie m’apprend que le chantier est suspendu pour des raisons obscures, il n’y aura pas d’aubes sur la mer, la chance c’est qu’un autre lieu nous attend, dans une région que je connais peu, où il y a de merveilleux couchers de soleil.
Nina est de retour pour une semaine, la proximité avec sa précédente visite me donne l’impression qu’elle n’a pas vraiment quitté la maison et ça me rend joyeuse. Et puis l’été, la presque fin des photos pour le livre. Avec Philippe et les filles nous descendons le long des quais bondés, la pelouse de Villemin encore chargée de corps qui attrapent les derniers rayons de soleil exhale son parfum d’herbe tiède, un air festif, une légèreté qu’on avait oublié.

Nous allons tous les quatre voir La maman et la putain, j’avais oublié une grande partie du film, j’avais oublié qu’Alexandre (joué par Léaud) lisait La recherche du temps perdu, j’avais oublié la beauté des plans-séquences, les fondus au noir comme des respirations lentes, la vérité des acteurs, ça me donne envie de filmer des corps et des visages.
