ici les morts

nous marchions sur la brèche d’un monde tremblant. autour les corps pliaient leurs craintes sous le désordre du ciel, avançaient comme nous dans la rumeur d’une défaite, se demandaient qu’avons-nous fait. étaient désœuvrés. il fallait tisser des liens nouveaux.
ce n’était pas la superbe attendue, il manquait la lumière. c’était la mélancolie des corps flottants devant les fenêtres. ces images qui te hantaient depuis novembre, des pensées suspendues, des rues abandonnées qui descendaient vers les rives, c’était de la ville ce que tu retenais. rien ne te liait au fleuve mais tu n’étais pas là par hasard. il fallait se perdre dans la ville usée. il fallait faire corps avec sa fragilité. ses vacillements. ses fenêtres brisées. ses portes ouvertes vers la terre. on avait frotté les linges poing contre poing, la toile tendue. on avait lavé les épanchements secrets, on avait vrillé le coton. la mémoire de notre enfance enfouie dans les plis surgirait, ça sonnerait comme un retour aux sources. nous ne pouvions plus marcher sans penser à elles, leurs peaux absentes, leurs bras forts leurs bras blancs leurs bras tendres leur bras ronds qui se battent avec le vide, suspendent le chagrin aux fenêtres. parfois elles avaient des remords, elles ravalaient les fantômes, les ramassaient dans l’obscurité, mais lentement, pour ne pas effrayer les autres. au fond des lavoirs on noyait les souvenirs, les lamentations. on les embaumait de feuilles mortes.
maintenant, dans le désordre des reflets nous devinons des sourires, nous sourions à notre tour. ici les morts s’obstinent, ne nous oublient pas.

musique Stewen Corvez

Publié par

caroline diaz

https://lesheurescreuses.net/

5 réflexions au sujet de “ici les morts”

  1. ah oui, cette obstination, là, (on entend aussi une morna, non?) c’est sûrement parce qu’on est vers cet estuaire qui va au loin, là-bas le nouveau monde, tout au fond de l’image, après les îles, après l’anticyclone, un nouveau monde fait de danses et de carnavals… (magnifique magnifique) – on s’en va on n’en reviendra pas (trop bien)

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  2. J’ai lu tes articles à rebours ce matin, d’abord la photo de la chambre aux deux couleurs du lit au mur et son miroir magique, Très belle. Quel beau titre l’obsession des traces. Et ensuite descendre à ici les morts et les premières phrases sublimes et me dire, elle ne pourra pas continuer avec une telle force, rêver d’une beauté qui dure. Eh bien, oui, tu y es parvenue. J’hésite à passer à la vidéo. Je vais le faire, mais ainsi déjà tellement fort. Merci

    Aimé par 1 personne

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