au plus près de ses gestes

La mélancolie de l’orgue de barbarie, la voix un peu fragile de la chanteuse, Les roses blanches, la joggeuse qui en passant à sa hauteur reprend le refrain, la photo de famille.

Elle n’a pas vu mon message, me rejoindra pour la séance, je ne trouve pas mieux que le bar de la fontaine Saint-Michel, la salle est pleine d’hommes, je commande un demi et des frites, l’écran géant diffuse des clips des années 80, le type en en face de moi ressemble à Dominique A. C’est bien la première fois que ça m’arrive, boire un demi seule en mangeant des frites dans un bar.

L porte un pull merveilleux, je lui avoue avoir raté les photos de la semaine dernière, elle pensera à remettre le pull bleu à fleurs géantes.

Retrouvailles à Laumière avec Piero, il me signale le ferrailleur sur l’avenue, ce sont des Bulgares, il a l’habitude de les prendre en photo, ici par exemple. Retour prudent sur les trottoirs humides. Pour la première fois depuis longtemps j’aime à nouveau Paris.

Dans le miroir j’observe les gestes de la coiffeuse, du peigne elle extrait une fine mèche de la masse brune, étudie le cheveu, la cliente parle, trop fort, son enfant qui souffre d’apnée du sommeil, la surveillance que ça exige, elle affirme qu’elle n’a jamais eu peur, j’ai du mal à la croire.

Envoi des corrections à MP, l’allègement et le répit. Ça n’empêche les doutes, mais pour la première fois certitude d’aller au bout. Le soir les galettes délicieuses avec M et G, les utopies et les chagrins.

Grand beau, je prends un vélib pour rejoindre la BNF, avais oublié la manif. Prise dans le cortège avec de très jeunes gens, ça vous dit on essaie de trouver des gens qui crient ? Très beau documentaire sur Françoise Pétrovitch au travail, au plus près de ses gestes, de la matérialité du papier, des encres, retrouver presque des sensations dans les mains, envie de m’y remettre.

l’allongement du jour

Commencer l’année avec ce message, il vous a été recommandé de rester isolé(e) au cours des prochains jours. Isolée ça ne me faisait pas peur, mais il y avait la lumière, il y avait que probablement je n’étais plus contagieuse, et que je portais un masque, alors glaner quelques reflets sur le canal. L’illusion des voyages en reflet.

Après l’échange avec le Tiers livre je survole Autour, le texte amorcé cet été — dans la nuit l’impression d’y voir clair, trouver une ligne de fuite, mais dès que je cherche à le formuler ça s’effondre, arrêter de théoriser, il faut écrire encore.

La lumière précise sur le banc, une empreinte féerique, dans le monde rétréci j’invente comme enfant des contes, des présences amies.

Nous sortons tous les deux, aller jusqu’aux buttes cette fois, la lumière capricieuse, le parc très calme. Redessiner des paysages. À l’entrée du jardin, la maison du gardien, une chose d’enfance de toujours rêver habiter la maison du gardien, on avait compris depuis longtemps que le château n’était pas pour nous.

Découvrir des floraisons précoces, imprudentes. Dans notre rue, le vélo enrubanné de l’association me rappelle nos vélos de petites filles, ils étaient nos chevaux sauvages.

Un rêve, il me téléphone, me parle de Comanche, mais les filles joueuses m’empêchent de parler, font du bruit, me chatouillent, rigolent, dans le rêve elles sont grandes et petites à la fois, je finis par leur échapper, m’isole, explique ma méthode, comment j’y suis revenue, je me réveille le cœur battant. N’empêche que Comanche avance, me tient, m’obsède — plus doucement.

La pluie m’oblige à prendre le métro, presque désert, ça me rassure et m’inquiète à la fois, dans les jambes une faiblesse, n’en ai pas tout a fait fini avec le virus. Sentir pour la première fois l’allongement du jour — à peine — ça me réconforte — même si maintenant j’aime la nuit.