août, premiers jours

sortir, il y aura toujours quelque chose à saisir dans la ville, le même pont, les mêmes quais, autrement, forcer le regard, se réjouir de l’installation de Paris Plages, forcément du nouveau, de l’insolite à photographier, les installations désertées, le ciel voilé, les enfants sous la brume artificielle, il ne fait même pas chaud, un début de spleen

le temps maussade, l’isolement, pas de promenades en vue, rien n’accroche le regard, je finirais par photographier le jardin enfermé par des champs de maïs, N me confie qu’elle n’aime pas trop le maïs, ça l’oppresse, et ce bruit quand le vent passe au travers, me suis souvenue comme déjà elle sursautait aux cliquetis des filins métalliques sur les mâts, en rentrant à pied — la nuit — d’une soirée à Jullou, nos petites frayeurs adolescentes

regarder les étoiles avec M, rire de nos lacunes astronomiques, fumer une cigarette roulée, s’étonner de sa curiosité sur le projet entamé sur mon père, sentir le froid, savourer l’inédit

gare hors monde, dans un cul de sac, au bout du quai le terrain vague, le chemin de côté qui attire, l’échappée d’un temps trop minuté, à l’arrivée Gare de Lyon le sac de couchage dans le panier du vélib abandonné par le propriétaire trop pressé de prendre son train, l’attendre devant la gare, sept minutes… après je pars, le voir surgir en courant, se réjouir d’avoir été prévenante

la joie du départ, la perspective d’avoir du temps pour lire, pour écrire, se moquer avec A du sale type qui voulait qu’on le suive à Concarneau, la côte, par cœur, décider que le nouveau propriétaire de Capharnaüm ne la mérite pas, il a d’ailleurs retiré la plaque, reste la beauté du pin en contrejour

juste après le couchant, un ciel irréel, un de ces ciels qui m’effrayaient un peu enfant, j’imaginais que c’était à ça que la fin du monde ressemblerait, étrange et spectaculaire, un ciel flamboyant, c’est comme le reflet des mégafeux, ce qui m’effraie aujourd’hui c’est qu’on doive inventer de tels mots

par la fenêtre

Je me suis levée plusieurs fois dans la nuit, la soif, une crampe, au dernier réveil par la fenêtre la lune était plate et brillante, elle se rapprochait de l’horizon immobile, le bleu était intense autour, c’était une lune d’enfance, une lune à qui on parle, une lune dont on ne sait plus comment elle tient dans le ciel, dont on se demande qui l’a collée dans la nuit, un astre dont on a oublié la mort, j’ai goûté l’eau fade qui avait passé la nuit dans le verre sur la table du salon, ça m’a rappelé l’eau qu’on boit à l’hôpital par toute petites gorgées, il était trop tôt pour me lever, j’ai retenté en vain le sommeil, j’ai de nouveau regardé le ciel, la lune plate avait disparu dans un petit jour mélancolique, j’ai pensé à la perspective des montagnes en pans bruns, puis mauves, à leur décoloration progressive dans le lointain.

qu’il pleuve

près de la rue de Meaux, Paris, avril 2021

comme chaque matin j’attrape un livre dans la bibliothèque, un livre que je n’ai pas lu, un livre oublié, je l’ouvre au hasard, lis quelques lignes, ce matin Qu’il pleuve, Francis Dannemark, au milieu d’un paragraphe quatre mots se détachent, un coup de cafard, l’expression oubliée me replonge loin dans l’enfance, un coup de cafard, une fin d’été quand l’avenue de La Plage se vidait de ses vacanciers, la maison vide quand ils étaient en course, un mur lisse, un rêve oublié qui alourdit le corps, un jour hostile, les branches dépenaillées entre chien et loup, l’absence, un coup de cafard reflétait ce matin si justement l’humeur du moment, plus juste qu’une fatigue galvaudée, un coup de cafard, bref, sec, se souvenir du dehors, franchir la porte, se jeter dans le tournant, attraper les reflets du jour