la ville s’allège

La crêpe c’était un prétexte pour traverser la ville. Difficile de faire des photos, découragés par le froid piquant. Sur le chemin retour impossible d’éviter du regard les corps couchés sur les grilles. Culpabilité et colère montent.

Sa voix grave et douce sous mon toit rue de Charonne, le goût de la verveine, nos discussions sur écrire encrent une réalité — j’écris — dans cet espace ou normalement je n’écris pas, même si je ne m’y interdis pas de prendre des notes, d’écouter des podcasts, de visionner des vidéos amies sur YouTube.

Je retrouve L avec le beau chandail à fleurs qui a déclenché l’idée des portraits. Je la photographie au travail, fait son portrait devant les casiers, lui réclame un sourire, trop peur de figer une forme de tristesse. Je ne sais pas encore ce que je vais faire de ces photographies, mais L se prête au jeu, elle a l’air contente.

Dans le caniveau l’eau glacée scintille sous le soleil, je devrais prendre une photo, mais portée par l’élan du vélo je renonce à arrêter le temps. La revanche prise quelques jours plus tard rue du Faubourg Poissonnière, à l’arrache pour éviter les voitures.

Ce n’était pas tout à fait une parole, un râle plutôt. Les mots se sont défaits d’eux même, le temps de me parvenir, à douter même de leur origine. Cette voix était-ce la mienne ? Était-ce un rêve, un fantôme ? Il me semblait en deviner la masse, sa charge de douleur, un trou noir suspendu dans l’espace de la chambre, mais c’était trop flou pour en comprendre le sens.

Parfois un morceau de chemin seule dans la nuit est comme une aventure, l’espace s’ouvre. Les reflets, éclairages, mouvements effacent ce qui m’effraie, ou me désespère, la ville s’allège.

Un mail de la South Western Railway : Industrial Action will affect South Western Railway services between 18 December 2022 and 8 January 2023. Je ne me désabonne pas de leur liste de diffusion, chaque notification fait ressurgir des images du voyage de l’été, des quais de gares sous le soleil, le tracé de nos parcours ferroviaires, nos stratégies finalement victorieuses avec Alice pour rejoindre les Brontë.

la nuit attendait aussi

Finir le texte pour les vases communicants avec Myriam Oh, frustration de ne pas s’affranchir de la narration linéaire — j’espérais en allant vers elle trouver une scansion différente, aller vers la poésie. La surprise de voir le texte retomber sur ses pattes, en face.

Sensation de lourdeur, l’image de mon corps vieille, repliée, je suis mourante — l’impression d’être pourtant vraiment éveillée. Laisser l’air reprendre sa place autour, l’angoisse difficile à décoller .

En arrivant au cours de gravure Louise écarte les pans de sa blouse pour me montrer un pull en jacquard coloré — j’avais été la semaine dernière impressionnée par celui qu’elle portait, déjà tricoté par sa mère. Dommage que je n’ai pas l’appareil avec moi. Je lui demande si elle accepterait que je la prenne en photo avec ses pulls, dans l’atelier, elle me raconterait des souvenirs de sa mère au tricotant, l’idée lui plaît, la manière dont ça a surgit me rend très joyeuse.

ne pas lutter contre, sombrer, rester dans la tiédeur des draps — retarder le départ — se raviser et danser comme une enfant — les faire rire, rire avec eux — espérer plus de lumière — y aller, fermer la maison — trouver miraculeusement un Vélib — pédaler plus doucement — laisser les pensées vivre leur déroute — louper l’embranchement de Richard Lenoir — le réaliser en passant devant Saint-Ambroise — se demander si cela a à avoir avec traîner au lit — tourner la tête en passant devant la rue de l’asile Popincourt — penser à elle

Rendez-vous professionnel en visio, elle est jeune — je fais ce constat de plus en plus souvent. Elle me parle une langue que je ne comprends pas, ne se départ pas de son sourire, cette bonne humeur de façade, apprise durant sa formation en école de commerce, elle me balance des chiffres, je ne sais jusqu’où je peux faire semblant, si je lui fais comprendre que ça m’échappe un peu — dashboard, conversion, captif.

Se forcer à marcher dans la nuit et le froid, je n’ai pas pris de photos de la semaine, trop de déplacements, le poids de l’appareil, la lumière désastreuse. Dans le temps et l’espace contraint de mon trajet, j’aime le rapport au cadre, aux éléments, il bruine, maigre moisson.

Le réveil ne sonnait pas — ai regardé l’heure quatre ou cinq fois — ai écouté le calme dans l’immeuble — ai senti le froid hostile — ai contemplé le plafond découpé en ombres floues — ai pensé aux photos que je n’avais pas prises — ai deviné que la nuit attendait aussi — ai entendu mes pensées s’effondrer — ai desserré la mâchoire — ai senti un goût amer sur la langue — ai respiré l’air alourdi de nos souffles — ai espéré la sonnerie — me suis rapprochée de toi, sans te réveiller.

en hiver les arbres vivent au ralenti

Relecture des fragments Face mer avant envoi à F, un peu le trac, bien sûr on le fait, pas forcément quatorze images… Il en reste pas loin de cent cinquante, je les recadre, au moins aligner l’horizon, peut-être faire un montage vidéo, avec les sons de la mer que Philippe a enregistrés.

Revoir les photos de Marseille pour la mise en ligne du journal, en poster une cette semaine encore, quitter doucement la ville, ce soir (13 novembre) Michèle Dujardin sera aux Arcenaulx pour présenter le très beau Hauts Déserts, nous avons Marseille en commun, cette vue pour lui faire signe.

Retour rue de Charonne intense, je m’aperçois que je n’évoque jamais ma vie professionnelle par ici, vraiment l’impression d’avoir une double vie désormais, mais cette semaine c’est la sortie de notre livre, c’est un livre de motifs, à effeuiller, un chantier d’un autre ordre, très accompagné, avec une belle équipe, qui prend beaucoup de place cette semaine.

J’aborde la réécriture du Comanche, je renoue avec le tu, ça me libère. Je crois que j’ai un plan, est-ce que je vais m’y tenir ?

Le bouleau est encore très feuillu, je vérifie sur internet ce qui provoque la chute des feuilles, apprends qu’en hiver les arbres vivent au ralenti, j’ai dû le savoir mais ça résonne autrement aujourd’hui.

Dans l’appartement des miettes de papier découpé, Alice en phase d’écriture/collage sème, jusque dans les plis du drap qui recouvre le canapé, j’envie ce temps qu’elle y accorde, me souviens d’heures passées à pointiller au rotring, dans la mécanique et la lenteur trouver une voix. Je me sens prise dans l’urgence, comme chaque fois que je replonge dans le Comanche, j’entends ma mère, qui veut aller loin ménage sa monture, ça me faire rire, elle l’impulsive.

Les journées folles, je ne fais pas de photos, ou la nuit, la nuit qui tombe beaucoup trop vite. Au déjeuner au moment de prendre ma fourchette une hésitation, ma main gauche molle, comme détachée de mon corps, j’hésite, je ne suis plus sure d’utiliser la bonne main, ça m’angoisse terriblement, puis les sensations reviennent.