dehors, la douceur irréelle

Un couple à la fenêtre du premier étage, à l’angle de la rue de la Fontaine au Roi. La sensation qu’ils posent. Peut-être la manière dont l’homme tient sa cigarette, droit dans sa veste de costume, peut-être le vert soutenu du vêtement de la femme qui se détache dans l’obscurité de l’arrière plan, les bandeaux épais de ses cheveux châtain. Je n’ose pas les photographier, en les décrivant aujourd’hui me vient l’envie de les peindre, ça ressemblerait à un tableau de Hopper.

J’oublie de noter mon rêve, ne me revient que l’image d’une mer grise mais étrangement transparente, où nagent des dizaines de méduses laiteuses qui ne me font pas peur.

Je profite de cette journée buissonnière pour rendre visite à V dans son appartement/atelier, au neuvième étage d’un immeuble du 14ème arrondissement. Une vue à couper le souffle, assieds toi à mon bureau, tu vas voir. Je lui envie cet espace, le désordre qu’elle y laisse.

Je lui raconte un souvenir. Gare de Lyon, j’ai vingt ans et je pleure. L’inconnu s’est assis à côté de moi, m’a demandé ce qui n’allait pas, il a commencé par parler doucement, puis il a mis une main sur mon épaule, puis sa main a glissé sur ma cuisse, puis sa bouche brutale contre ma bouche. Ce sont les baisers qu’on nous vendait dans les livres, il força ses lèvres. C’est à ce moment que j’ai réagi, je me suis levée et enfuie. Une chose pas grave.

Elle dit que franchement elle a honte de son pays, son grand-père lui répond que lui aussi. Finalement ils décident de passer par Bastille, comme ça on fait un bout de chemin ensemble, je traverse au niveau de la rue de Charonne, me retourne pour leur faire un signe de la main mais ils sont déjà ailleurs, c’est fugace, mais j’ai un sentiment d’abandon.

Je ne l’avais pas croisée depuis des mois. Elle a quitté l’enfance, je me reconnais au même âge dans sa gaucherie, elle voudrait m’éviter mais je lui tiens la grille, puis la porte, dans le couloir elle accélère, elle jette un regard par dessus l’épaule comme pour s’assurer de la distance qui nous sépare, puis elle s’engouffre dans la cage d’escalier, je l’entends courir dans les étages.

Je sors doucement du sommeil, je reconnais d’abord les basses, puis la mélodie, puis les paroles, ma voisine écoute à fond L’Été indien. Dans les années soixante dix, alors que j’étais une petite fille, ça évoquait le Canada. Je me souviens de toutes ces chansons tristes écoutées dans l’enfance, comme elles me reliaient à mon père. Dehors, la douceur irréelle.

Publié par

caroline diaz

https://lesheurescreuses.net/

4 réflexions au sujet de “dehors, la douceur irréelle”

  1. Il fait bon dans tes mots, dans ce doux bercement des jours. Et juste là, j’ai pensé à ce passage de Comanche, où tu parles de ce film qui m’avait marquée moi aussi, Les choses de la vie. Dehors, ici, la neige irréelle.

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  2. « …il força ses lèvres. C’est à ce moment que j’ai réagi, je me suis levée et enfuie. Une chose pas grave. » merci pour la transmission des «  pas grave » : une petite liste existe à présent. (Et « l’été Indien » : l’été justement, la torpeur, la ville ouverte, la nuit pas vraiment nuit Et marcher danser … )

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