et maintenant ?

Elle m’accueille dans sa maison sur la digue, de la fenêtre je peux voir la mer frapper les marches malgré l’obscurité. Rêveuse omnisciente je sens l’épaisseur humide de l’air, je vois la maison du dehors, illuminée, et pourtant je suis à l’intérieur.

On n’avait encore rien vu, on allait avoir peur encore. Alors des heures à broder le tapis, recouvrir les livres de papiers à motifs (comme Virginia l’avait fait à Monk’s House), peindre des objets minuscules, et penser aux gestes minutieux de mon frère adolescent quand il montait des maquettes d’avions, l’odeur des petits pots de peinture à essence.

L’anomalie se révèle alors que je cadre, les deux bâtiments amputés chacun d’une moitié. Chaque fois que je dois me rendre chez Exacompta, il y a cette attente joyeuse, une forme de convoitise, entendre la voix de l’accueil, rauque et gouailleuse, qui nous relie à un autre temps, comme l’extraordinaire bâtiment industriel.

En remontant le canal j’observe la perspective de l’avenue Richerand, aperçois sur la gauche la devanture du Loui’s, et la surprise, ce changement de perspective qui me donne à revoir la ville, ce quartier où je vis depuis plus de vingt ans. Cette même surprise, quand nous nous y étions installés et que je découvrais notre proximité avec la rue Albert Camus où vivait ma tante chérie. Combien de dimanches ? Nous venions en voiture depuis Brunoy, on traversait Belleville, c’était pour moi le seul moyen d’y accéder, jusqu’à ce je vienne m’installer de l’autre côté du canal, sans même réaliser que nous devenions voisines.

Déjà l’heure à laquelle le téléphone a sonné, puis sa voix qui ne laisse aucune place au doute, c’est arrivé brutalement. On écoute, puis on répète, on raconte ce qu’il a fait la veille. Est-ce que quelque chose aurait pu l’empêcher ?

Il se lève pour sortir fumer une cigarette, nous demande si nous pouvons veiller sur son ordinateur, d’une même voix alors qu’il vient de quitter la salle nous nous avouons qu’avec cet accent il aurait pu nous demander n’importe quoi, et nous nous racontons nos histoires d’amour étrangères en riant.

Écouter le discours de Judith Godrèche, être bouleversée, son courage, et le dialogue de Rivette, Céline : Il était une fois.
Julie : Il était deux fois. Il était trois fois.
Céline : Il était que, cette fois, ça ne se passera pas comme ça, pas comme les autres fois.
Penser à Adèle Haenel. Et maintenant ?

Publié par

caroline diaz

https://lesheurescreuses.net/

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