une présence amie

Je visionne à nouveau les quelques plans où j’apparais dans les films de Simon, une quinzaine de secondes floues. La petite fille avec sa jupe longue, son bandeau dans les cheveux courts, qui descend lentement l’escalier de pierre pour le caméraman, qui dessine torse nu puis se cache dans le pli du bras, la petite fille de cinq ans timide et joyeuse, je donnerais cher pour savoir ce qu’elle avait en tête.

Le métro était blindé, le type lisait sur son strapontin, se démontait pas au milieu de la foule compacte. Je plongeais directement sur les pages ouvertes, c’était de la science fiction, j’attrape les mots mars, astéroïdes, ils ne m’ont jamais fait rêver.

L porte un nouveau chandail tricoté par sa mère, pas de jacquard spectaculaire mais un savant jeu de points en relief. À la main gauche plusieurs bagues en argent que je n’avais pas remarquées auparavant. Elle travaille d’après une aquarelle qu’elle a peinte dans les Hautes-Alpes, Quand je regarde ce paysage ça me fait quelque chose, là — elle se frappe la poitrine—, Palpiter tu veux dire ? Oui c’est ça palpiter. Pourquoi ? C’est l’endroit où je suis née. Je réalise que je n’ai jamais peint sur le motif, j’aurais je crois l’impression de me perdre. Nous déjeunons ensemble, elle me raconte sa vie, La prochaine fois ce sera toi.

Je ne peux pas dormir, je ne fais que penser à Comanche, la forme qu’il prend, et je revis chaque scène du livre, chaque rencontre. J’entends ton souffle régulier à côté de moi tandis qu’une douleur grandit dans mon thorax. Je parle avec M, l’étrangeté de ces deux choses qui se frôlent et s’écartent, le désamour du texte et la puissance de l’écriture, je veux dire ce que écrire nous fait.

Je photographie la nuit, les façades, avec toujours l’arrière pensée qu’en agrandissant les fichiers sur Photoshop, il y aura une révélation, une présence amie derrière les fenêtres éclairées.

À six ils soulèvent la tente du sol, ils la portent à l’épaule comme on porterait un cercueil. Je me raisonne, il n’y a personne dans la tente, mais sûrement les effets des pauvres gens qui vivaient là — j’imagine une famille, elle était grande cette tente. Autour un attroupement mais tout est calme. J’hésite, tenter de comprendre où la tente est déplacée, intervenir, savoir où sont les occupants. Je renonce, m’éloigne, me repose sur les présences autour. Mes jambes étaient molles, c’était la colère et le chagrin.

Commémorations de Charlie, ça explique le ruban rouge qui ceinturait la veille Richard Lenoir et l’enlèvement de la tente. Je pense à L, me ravise, peut-être qu’elle se tient en dehors, peut-être qu’elle a oublié. Le mail de MP, sa précision implacable et rassurante qui donne l’énergie de se coller — une dernière fois ? — au texte. Le petit appartement sur la plage d’Erbalunga déniché par Philippe, qui me fait rêver à mai. Sentir pour la première fois vraiment l’allongement du jour.

Publié par

caroline diaz

https://lesheurescreuses.net/

7 réflexions au sujet de “une présence amie”

  1. la photo de nuit, derrière les facades et ces fenêtres dorées, c’est un peu comme celle des bois des arbres et des branches dans le fond du parc (c’est plus à Londres tu me diras), dans Blow up (oui, enfin, l’inverse, oui) (ETLC c’est magnifique)

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  2. J’aime toujours autant tes textes, tels des haïkus du quotidien, qui saisissent aussi les trémulations intérieures. J’attends de pouvoir lire « Comanche », ce texte qui entretient une mystérieuse fraternité avec « Algésie », (toujours en gésine, mais qui adviendra, j’en suis certain.)

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