
Marche dominicale, passage au Salon de la revue. Pendant que Philippe discute avec son éditeur, je me perds dans la conversation voisine. Je remarque la couverture jaune d’une revue posée sur la table, L’Ochju. Le titre m’arrête. L’œil, en corse. J’entends : insularité, langue, accent. Je me joins à la conversation, presque impolie. J’échange avec la jeune directrice de la revue, repensant à la description que mon frère avait faite de notre grand-mère Pauline, se souvenant de la langue corse qu’elle parlait souvent, et de son accent, dont je n’ai gardé aucun souvenir. Cette absence m’a frappée, un morceau d’identité m’avait échappé sans que je m’en aperçoive.
Nous traversons le jardin en hommage aux victimes du 13 novembre, dont Juliette nous avait parlé lors de son passage à Paris. Dix ans. Ne pas y croire. Je lis les noms des victimes gravés sur les stèles symbolisant chaque lieu touché lors des attentats. Entre les stèles, un jardin reprend le plan des rues. Une note explicative m’apprend que, la nuit, des lueurs ponctuent le jardin, disposées selon la voûte céleste du 13 novembre 2015. Une nuit de novembre, on ne peut qu’imaginer la place des étoiles.
Nous rentrons par la place de la République. Des drapeaux bleu-blanc-rouge flottent, agités par un petit groupe de prétendus patriotes qui réveillent la méfiance.



Voyant la lune haute dans le ciel, un enfant demande à sa mère si elle a des ailes. Elle lui répond que non. J’aurais aimé qu’elle lui dise que c’était beau d’imaginer cela. L’enfant insiste, Mais pourquoi la lune n’a pas d’ailes ?

Attachant la broche de Pauline sur ma veste, je m’étonne de la manière dont mon attention aux objets change. Cette broche, que ma mère m’avait donnée simplement parce que je la trouvais jolie, aujourd’hui se charge d’histoires, de présences. Je la touche parfois, en marchant dans le quartier, avant de monter sur un vélo, comme un talisman. Cette attention mouvante, je crois que c’est une forme de mémoire.

L’ami finit son message en m’écrivant J’espère que tu vas bien.
Je n’ai pas su lui répondre. Écrire merci, je vais bien serait forcément assujetti à une litanie de si j’oublie.
Si j’oublie…
Si j’oublie…
Si j’oublie…
Alors oui, je vais bien.
La vidéo d’Anh Mat. Le taxi quotidien avec Isabelle. Elle demande à son père s’il préfèrerait visiter les morts ou les ressusciter. Je me dis que c’est ce que je fais, la plupart du temps, quand j’écris — mais je ne désespère pas d’en avoir fini un jour avec mes morts. Écoutant les voix familières d’Anh Mat et d’Isabelle, m’invitant à sortir pour savourer la journée ensoleillée qui s’annonce, je réalise qu’ils me manquent. Je leur envoie un message vocal. Anh Mat me répond quelques instants plus tard. Derrière sa voix, j’entends Isabelle qui chante. Et je me dis que les voix parfois nous relient, malgré la distance.























































