un regain d’amour pour la ville

On avait réservé une visite à l’ouverture, on est un peu en retard, on marche vite dans la ville encore déserte, il fait déjà chaud. La beauté de l’indécision, des gestes suspendus, les corps retenus — remontera l’émotion d’un souvenir d’enfance. La marche, le scone, le calme dans la ville.

Les retrouvailles avec Fumie et Marie pour dîner, le temps écrasé, on calcule, presque quatre ans sans se voir alors que nous nous parlons quasi quotidiennement.

Je photographie des fleurs, je cherche à saisir leur transparence. Depuis le voyage à Osaka, et la séance de photographie au pied des cerisiers avec Angelo, je ne saurais photographier les fleurs sans m’attacher à cette transparence.

Les moineaux s’envolent d’une traite, effrayés par un pigeon. La voisine m’exaspère à vouloir nourrir les oiseaux. Passaient les tourterelles, mais maintenant les pies, les pigeons, s’installent au bord de nos fenêtres. On a vu un rat traverser sa terrasse, manquerait plus qu’il fraye avec le couple de tortues qu’elle a adopté.

Un groupe d’amis à la sortie de la rue de Charonne, elle est longue et blonde, sa ressemblance avec Lauren Bacall que j’aimerais photographier, la vingtaine arrogante, non moi cette année c’est musique, appartement, indépendance, nouvelle vie, tu vois un peu ?

Elle s’excuse, ce n’est pas que je voulais écouter votre conversation, mais j’ai entendu votre phrase, le personnage ne vous appartient pas, c’est une citation ? ça vient d’où ? J’évoque l’atelier d’écriture de François Bon, me réjouis intérieurement qu’elle ait posé la question, elle légitime toutes mes tentations d’interroger de parfaits inconnus.

Sentir déjà les jours qui raccourcissent, j’ai sans doute écrit cette même phrase il y a un an. Me trouver plus solide. Choisir les photos pour le journal, je n’ai jamais photographié autant de corps, ce qui fait gonfler mon cœur, un regain d’amour pour la ville.

la beauté de l’Égalité

Nous allons au cinéma, il pleut, je ne peux pas me souvenir de la dernière fois où nous y avons été tous les trois. Me laisse attraper par la lumière et la mélancolie du film. Il fait nuit quand nous sortons de la salle, Philippe s’approche de l’eau pour faire des photos, je n’ai pas pris l’appareil, j’oublie le canal et ses reflets.

Écoute du podcast de Bruno Lecat — il a l’ambition d’enregistrer les 107 récits avec objet des participants du Tiers livre — entendre mon texte lu et joué est très troublant, ça crée une distance, la fin abrupte me heurte. Je me couche, au bord du lit il y a une grosse pièce de lin pliée que j’ai la paresse de ranger, je sens le poids du tissu sur mes pieds, j’ai l’impression qu’il y a là un animal, sa présence tiède et rassurante.

Après bien des allers-retours, des questionnements, décision prise de publier le travail autour de mon père sous la forme d’un feuilleton sur le blog. Il y a la nécessité de retrouver une forme de tension pour avancer (et finir ?), et l’idée qu’il ait ici sa chambre me plait bien, il sera toujours temps de penser au livre — après — de toute façon il n’y a plus de papier.

Je croise un voisin, son bébé dans la poussette, souvenir de mon orgueil de mère débutante quand les passants qui n’avaient plus l’âge d’avoir de jeunes enfants se retournaient sur les petites, s’extasiaient sur la rondeur de leurs joues l’épaisseur de leurs beaux cheveux, je fais l’effort de me tourner vers le visage de l’enfant, lui sourire.

Place de la République, chercher un angle pour prendre la statue en photo, m’attarder sur la beauté de l’Égalité, me souvenir qu’enfant les statues étaient les personnages d’histoires que j’inventais dans l’instant, à la fin il y avait toujours des adieux déchirants. Je jouais aussi avec les figures des jeux de cartes, mettais en scène des intrigues amoureuses, roi, dame, valet.

Sur les trottoirs des feuilles rouges recroquevillées font remonter des images du dernier séjour au Japon. Je n’ai pas encore retrouvé l’envie du voyage mais le Japon me manque beaucoup, c’était presque un rituel, le voyage annuel, sa vocation professionnelle et les espaces qui s’ouvraient — la nuit souvent — la dernière fois il avait eu Hiroshima, la découverte de Miyajima, notre projet de récit du voyage avec Philippe, sans doute à ce moment que s’est affirmée la nécessité du blog.

Je photographie les mouettes alignées — au spectacle, un homme me signale la présence d’un cormoran, je l’observe en train de pêcher, ses tentatives ratées, l’homme derrière moi m’interpelle encore — Vous êtes prise au piège hein — j’abandonne la partie. Sur le chemin du retour, dans la nuit les vitrines éclairées, La petite fille aux allumettes n’est pas loin.

Mon amie Anne fête son anniversaire, je me rappelle que ce soir c’est pleine lune, j’attrape mon appareil avant de sortir. Il y a bien une clarté dans le ciel mais je ne vois pas la lune. En rentrant, il est minuit, je m’aperçois que j’ai oublié l’appareil chez mon amie, tant pis pour la lune, je me console avec le reflet des feux de signalisation sur les feuilles photographié en rentrant de l’atelier. Avant de m’endormir je pense à l’appareil oublié sur la commode du salon de Anne, j’ai un pincement au cœur.