
Nous partons dans le 17eme, une fresque aperçue sur les réseaux prétexte à cette marche. Ambiance un peu tendue, ciel menaçant, agacements, la terrasse, le déluge, le bus qui soulève des vagues, le froid.
Au comptoir de la boutique de réparation, il lui demande son nom, elle l’épelle comme s’il ne fallait pas le prononcer, ne pas en révéler l’origine, il tapote sur son clavier puis il le répète à haute voix, Eléonore Heftler ?


J’apprivoise le nouvel objectif, un peu déstabilisée, ma main toujours surprise de ne pouvoir actionner le zoom.

Avant de partir je lui laisse une note sur la table pour qu’elle pense à lancer une lessive, quarante degrés, éco. Je m’efforce de l’écrire lisiblement, je signe mum. Je pense aux notes cumulées depuis des années. Sans doute j’y pense parce c’est une des dernières que je lui laisserai, puisqu’elle va bientôt quitter la maison.
Entendre la faiblesse dans sa voix, mais ça va ? Pas trop non, mon ordinateur s’est éteint brusquement. L’inventaire des projets définitivement perdus, les décisions prises à la hâte qui amplifient la catastrophe, et toujours les mêmes mots, aviez-vous fait une sauvegarde ? Difficile de penser à autre chose, de ne pas avoir mal pour lui.


Elle entre dans la boutique, j’écoute distraitement sa voix aérienne, son mari lui a offert une tasse, vous voyez il y a une fêlure, mais je l’adore, est-ce possible de l’échanger ? Puis elle entre dans l’espace où nous exposons. Longue chevelure rousse, regard azur. Elle découvre ma safe place miniature, reste postée devant. .Je m’approche, on parle de la genèse du projet, de Virginia Woolf, du voyage anglais, d’Alice Liddell et des sœurs Brontë, ça va vite. Elle est très réceptive, se demande si on a ressenti leur présence, oui au cimetière. J’évoque surtout la chaleur, le trouble de la sensation d’été quand on imagine Charlotte et Emily perdues dans la brume. Me reviennent les paroles de N, accompagnant son père dans les camps où il a été déporté pour y tourner un documentaire, l’étonnement de réaliser qu’il avait pu vivre à cet endroit de belles journées ensoleillées. Mon interlocutrice aborde alors son voyage à venir, la Hongrie sur les traces d’aïeuls disparus, des artistes issus de l’aristocratie hongroise. L’appréhension des malles à ouvrir, les photographies, les œuvres. J’évoque les retrouvailles improbables avec ma tante, Comanche, elle me dit qu’elle écrit sur sa mère. L’émotion s’épaissit autour de nous. On convoque Hélène Gaudy, Anne-Marie Garat, on échange nos mails, je découvre son patronyme de roman. En partant elle prononce cette phrase magique, tout ça à cause d’une tasse fêlée.
Au café avec M-P — l’amie, la correctrice de Comanche, la fille d’Anne-Marie. J’évoque la rencontre de la veille avec Violaine. L’instant d’après je la vois qui longe le trottoir du bar où nous sommes installées, je frappe trop timidement sur la vitre pour l’interpeller, elle ne me voit pas, son regard bleu tendu dans la marche, je n’insiste pas, je préfère me souvenir de sa silhouette qui s’éloigne, fantomatique.
















































