profiter de la lumière (je pense à elle)

À voir matin et soir le soleil jouer avec l’horizon je sens déjà que les jours raccourcissent, comme si le temps lui-même s’entraînait à se dérober.

Il a fait très chaud, on a travaillé intensément, cette semaine j’ai un premier sentiment d’essoufflement. Il y a heureusement d’autres espaces, il y a l’atelier d’écriture de François. Il y a la ville à arpenter. Retrouver des forces dans nos dérives lentes, dans quelques rituels désormais familiers. Au Vieux Port, le glacier est devenu incontournable, et je trouve dans la ville des échos de Bastia, à ces étés d’enfance où tout paraissait plus vaste, plus lent.

Profiter de la lumière pour réaliser quelques cyanotypes à partir des photographies prises parmi les pins, sur la terrasse, autour des statues. Je ne sais jamais à l’avance ce qui restera, quelle forme exacte prendra l’empreinte, et ce suspens redouble l’impression que tout fuit.

C’est Nina qui la remarque la première, sur la plage des Capucins. Au début, je n’y prête pas vraiment attention. Je vois sa peau mate, ses cheveux courts et gris, une sorte de coqueterie. Mais en revenant de la baignade, j’ai un choc, elle est là devant moi, c’est le portrait de ma mère. Ce n’est pas seulement une ressemblance ordinaire, c’est un double étrange. L’attitude, la souplesse de la peau, la plasticité exacte dont je me souviens chez ma mère. Son corps est plus mince, on devine qu’elle surveille sa silhouette. Mais le visage, c’est saisissant, et je ne parviens pas à détacher mon regard de ses yeux fardés, de l’épaisseur de ses lèvres, des commissures légèrement tombantes, de cette ligne du nez que je connais par cœur. Heureusement, elle ferme souvent les yeux. J’ose la photographier à son insu, geste interdit, presque honteux, au prétexte d’envoyer son portrait à mes frères et sœurs, donner corps à ce qui paraît irréel. Comme moi, ils sont frappés, eux aussi reconnaissent ce visage. Ce matin je regarde encore la photo volée et c’est une émotion profonde. Cela me trouble d’autant plus que, depuis plusieurs jours, je pense à elle, ma mère est morte un 19 août. C’est elle, vraiment, sauf que, comme je l’ai expliqué à Nina, elle ne serait jamais venue seule à la plage.

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caroline diaz

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7 commentaires sur “profiter de la lumière (je pense à elle)”

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