

Nina vient me chercher à la gare, en voisine, pose ses bras sur mes épaules. En entrant dans son appartement je ne peux m’empêcher de penser à ma mère. Déjà dans la cage d’escalier de l’immeuble je retrouve l’odeur de pierre lavée et d’encaustique que j’associe toujours à ma mère. Puis, à l’intérieur il y a les murs blancs, la courbe qu’ils forment en rejoignant le plafond, il y a les tomettes aux sols, les persiennes qui me rappellent le dernier appartement où elle a vécu à Bastia, qui font de cet appartement un lieu familier. Au matin la lumière et la vision de la mer au bout de l’avenue me ramènent aussi à Bastia. Dans sa chambre Nina a fixé près de la fenêtre un petit portrait de ma mère, très jeune, elle a peut-être l’âge de Nina aujourd’hui. Il y a la présence des cendriers. Il y a les jeux de tarots. Il y a que je me retrouve dans la situation de la mère en visite chez sa fille, à dormir chez elle, et que je peux compter sur les doigts d’une main les rares fois où c’est ma mère qui est venue me rendre visite. Les jours suivants on emporte le Yashica au mont Boron, puis à Arson, puis dans dans l’appartement, on a du mal à l’utiliser, je finirais la pellicule sur le canal Saint-Martin. Je reçois les scans, il y a beaucoup moins d’accidents, mais à nouveau les taches viennent perturber l’image — c’est la dernière pellicule périmée que j’avais chargée dans l’appareil avant d’avoir les résultats de la première, sans l’effet magique des surimpressions je trouve les taches trop présentes. Je suis un peu déçue, me remémore rapidement le hors-champ de ces photographies. Sur le mur une marelle de photographies minuscules, peut-être une planche contact qu’on a découpé, les angles se recourbent, on sent la chaleur, parfois c’est la nuit, on devine des vieilles bagnoles, ce doit être la Grèce, sur l’une d’elle le sourire radieux de Nina alors qu’elle se baigne — elle qui dans l’enfance avait peur de l’eau —, puis l’appartement ensemencé de fleurs de papiers, sur les murs de la chambre, sur les carreaux de la salle de bains, de la cuisine, et les plantes véritables qui lèchent les tomettes, puis les franges soyeuses de l’abat-jour, il y avait presque le même chez ma mère, sauf que les franges étaient dorées, j’adorais les faire glisser sur le dessus de ma main en attendant son retour, c’était une caresse rassurante, puis la tendresse du chat, parce qu’il est comme ça le chat, il en réclame toujours, elle dit que c’est trop mais je découvre la fermeté de son museau contre mon nez et je lui assure que c’est délicieux, puis la cuisine qu’elle prépare avec ses gestes de chef — elle a vu faire ça où ? elle hausse les épaules, mais ça lui fait quand même plaisir, puis les bougies qu’elles transforment avec C en sculptures dégoulinantes sur le balcon, puis dormir seule dans sa chambre, écouter la circulation, les voitures, les tram, les trains, et toute cette lumière, m’inquiéter de la qualité de son sommeil, puis cette manière qu’elle a de prendre le contrôle, de nous diriger dans la ville, la bonne terrasse pour le café, les meilleurs ramen de Nice, les chemins secrets de Boron, puis les pins parasols, les vidéos et l’alarme de la villa Arson, madame en fait il faut sortir, puis l’amie gracile, le visage enveloppé d’un foulard, leurs nez froncés dans des sourires gênés, puis la lumière colorée à travers les perles du rideau confectionné par C, puis une dernière fois la mer iridescente, puis cette distance trop soudaine depuis le wagon du TGV.


Beau. Merci.
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cette envie de partager une ville se transmet à de multiples niveaux, et peut-être que lorsque je retournerai à Bastia je me poserai la question des meilleurs ramen, je me souviendrai de ces textes, que la mer sera elle aussi à la fois la même et en même temps différente
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