effet de réel

Je dois récupérer le film oublié chez Family Movie avant leur fermeture. J’improvise un itinéraire et découvre l’existence de la rue Maillard, alors que je viens chercher des images de mon père, dont c’est le patronyme. Dans l’armoire d’où la femme de l’accueil extrait la petite boîte métallique, j’aperçois d’autres archives. Je lui demande s’il y a beaucoup d’abandons. Elle me le confirme, Pas mal, oui.

Nous fêtons mon anniversaire tous les quatre. Je suis terriblement gâtée. Les cadeaux faits main par les filles m’impressionnent et me bouleversent. Ma collection — deux, c’est le début d’une collection — de livres Fléchette s’étoffe avec les textes poétiques de Laura Vasquez et Christophe Manon.

Rêve de coupures sur les mains, plaies lavées sous l’eau du robinet, je fais semblant de ne pas avoir mal pour ne pas inquiéter Nina, elle est debout contre le chambranle, son visage blanchit, j’ai peur qu’elle s’évanouisse.

Exposition sur l’intime décevante. La foule présente installe un paradoxe, comment saisir l’intime, pressée de toute part, supportant les commentaires bruyants du public ? En sortant du musée nous décidons de marcher un peu, mais la rue de Rivoli est trop bruyante, les pavés vibrants sous les pneus des voitures énervées. Nous traversons le Louvre pour essayer de rejoindre la Seine, c’est le moment que choisissent deux bus pour emprunter le même passage que nous, tout me paraît brutal, menaçant, peut-être parce que je sais la sensibilité de celle qui m’accompagne.

Nous venons ici en dehors des offices et concerts. À chaque fois, l’église est fermée, mais collant mon objectif devant l’interstice entre les deux portes j’ai l’illusion d’y entrer. Tout devient mystérieux dans le halo formé par les deux battants de part et d’autre de l’objectif. Nous faisons le tour de l’église, le lieu est désert, il parait presque abandonné, m’évoque un terrain de jeux d’enfance où je me serais rêvée puissante. Un matou gras finit par s’approcher de nous comme s’il avait quelque chose à me dire.

Il me dit que, parfois, je fais des têtes, on dirait que le petit chat est mort. La ville s’exalte sous une lumière nouvelle, miroitée dans les flaques formées la veille. Dans le soleil, une feuille parfaitement collée sur le dossier du banc m’apparaît comme un indice à déchiffrer.

Comme un reflet dans une lame de couteau. J’avance sur la miniature, surprends la lumière qui passe à travers la fenêtre du grenier, effet de réel saisissant.

l’image d’un rêve qui s’échappe

Nous traversons le Jardin des plantes détrempé par la pluie, à l’épaule l’appareil photo est un poids mort, la laideur des sculptures exotiques en nylon dans la lumière plate. L’inconnue qui demande à Philippe, qu’est ce que c’est — en désignant une chenille géante — m’arrache un sourire.

D’abord un voile devant l’œil, c’est une chose dans l’air, floue et pourtant toute proche, c’est une plume dont je voudrais attraper le mouvement, elle git déjà sur le trottoir, je la photographie en pensant à Christine Jeanney.

La dame du rez de chaussée par sa fenêtre ouverte sur la rue me tend un bocal de petits pois, elle ne parle pas vraiment ma langue, elle aimerait que j’ouvre pour elle la conserve. Elle est mal tombée, j’exhibe mes doigts déformés, elle me montre son poignet enflé, shifumi, ouvrir le bocal et sourire.

Qu’est-ce que vous regardez comme ça ? le reflet. Le reflet de quoi ? Vous voyez là, incliner le visage fléchir les genoux, dans l’objectif l’illusion de la lumière, une zone trouble, un mouvement, l’image d’un rêve qui s’échappe.

Le regard attiré par leur vêtements colorés, leur silhouettes élancées, j’imagine deux amies. À leur hauteur je découvre la beauté de leurs visages absolument semblables.

Les oiseaux se déchaînent sous la pluie, au point que je me lève, ouvre la fenêtre, m’attendant à trouver une foule de moineaux sur la haie. Dehors rien que l’humidité froide et les arbres qui jaunissent tardivement. Les chants s’amenuisent, je crains d’avoir été repérée.

Dans mon sac à dos le film 16mm fait poche restante. Surprise de voir surgir cette expression que Jacques employait quand j’oubliais de poster un courrier. Me souvenir de cette personne distraite que j’ai été. Insouciante. Peut-être que je préfère retarder cette ultime révélation. On boit un café, on écoute The Temples, on danse comme des folles dans le salon.

Relire encore

Dimanche nous faisons une première marche depuis des mois, marquer le pas. Sous le soleil le bassin n’était plus qu’une cavité sèche. Pas de miroir, aucun reflet où se logerait le merveilleux, se contenter des ombres.

En mode super fun ? oui hyper happy ! Rue de Lappe, deux jeunes femmes, celle qui pose avec la paire de baskets, celle qui dirige, et le photographe. Tout est surjoué.

Fatigue et douleurs, relire la notice du traitement prescrit, cocher un effet secondaire sur deux, cette explication me rassure. À l’examen rien de grave, sous l’effet du collyre révélateur la vue se trouble. J’observe ma pupille dilatée dans le miroir de l’ascenseur, me revient une fascination de l’enfance, les heures passées à figer une expression, à questionner le double.

On avait dit rendez-vous au pied des marches, j’observe la foule immense en longs cordons devant les portes, il fait déjà nuit, je téléphone, on finit par se retrouver. Alice et sa grand-mère joyeuse entrent dans l’opéra, nous repartons avec M, d’un même pas ralenti dans la nuit déjà froide. Nous dînons tous les trois, c’est la première fois.

J’aurais du m’interdire le maniement d’objet dangereux, tout est allé très vite, la règle a glissé, la lame du cutter a tranché vif le pouce, la pharmacienne se tient à distance, ça saigne beaucoup ?

Cet hiver, des patients comme vous c’est deux sur quatre. Laisser glisser le jour, ne rien s’imposer, rentrer par la rue de Cléry, goûter la géographie tortueuse du faubourg, penser à mon cheval imaginaire.

R m’envoie des propositions de maquettes. Choisir la typo, le corps, l’emplacement des folios. Désormais Comanche pèse cent quarante pages. Relire encore. Cut a vital connection.

soleil rayonnant

Dans le train retour filmer les rayons du soleil à travers les arbres, se demander si la première représentation du soleil rayonnant venait de ce qu’on l’avait observé à travers des feuillages ou des nuages — vanité des questions du dimanche soir, soupçonner la chaleur, le ventre lourd du repas familial, et le bercement du train.

Il a flatté la selle du vélo comme il l’aurait fait avec un cheval, me reviennent un visage d’enfant, un sourire, le regard brun de Laurence, l’accent italien de son père qui bricolait au jardin, les cordes nouées autour des guidons que nous agitions comme s’il s’agissait de rênes.

Dehors c’était un fracas terrible, pourtant le ciel continuait à se rayer de traînées de condensation. J’ai pensé au voyage à venir, ça me parait tout à fait irréel, nous quatre, dans une ville que nous ne connaissons pas.

Le jour tombe, sur les trottoirs humides des reflets de feux de signalisation, d’enseignes pharmaceutiques, quelques feuilles mortes, l’air chargé d’une douceur presque lourde. On marche vite, les terrasses sont bondées, on attrape des regards, des bouffées de vapeur sucrées, des ambiances changeantes, notre mouvement ressemble à une fuite, j’espère croiser un regard, un visage connu, rien.

Dès le départ elle a su, elle a joué à poser des questions, ce que ça voulait dire méditerranéen… Il n’a qu’un seul vin rouge mais délicieux, Il vient d’où ? Je vous demande parce que je suis libanaise — je souris, je fais la même chose quand je rencontre des Corses. Au moment de servir le café, le garçon de salle bien plus âgé que le patron, en inclinant légèrement la tête et avec beaucoup de douceur, Do you want sugar ?

Entre deux sommeils je pensais au projet endormi, je sais qu’il faut arrêter d’y penser, revenir à écrire. Au matin en lisant Gracia sur l’exil, je réalise combien les retours malgré le temps, les deuils, ne m’ont jamais semblés aussi nécessaires, comment mon lien — ou comme je l’écrivais à Gracia peut être celui que je porte hérité de la famille — à la Corse s’est révélé par l’absence.

Je finis le montage pour les prochains vases communicants avec Milène, réjouissances, plonger dans les archives, relier des lieux, des lumières. Beaucoup d’abstraction dans les plans même s’ils sont pour moi chargés de sensations, comment va t’elle les recevoir ? L’impatience déjà de découvrir ce qu’elle va projeter. Le moment où j’hésite à conserver ces images pour ma propre écriture est sans doute celui que je préfère.

parfois il faudrait juste effacer le texte

Ne retiens que cette sensation de soleil avant de rentrer. Vu le dernier Carax en famille, je suis clouée, émue, ça me donne une furieuse envie de faire des images.

Nous déjeunons au Chansonnier, Momo joyeux derrière le zinc, on dirait un enfant, qu’il joue à la marchande, il nous présente les brunchs avec emphase, nous demande notre avis. La lumière même si ce dimanche gris, les miroirs, les moulures, les lampes en opaline, l’espace, on imagine déjà le temps qu’on y passera à écrire.

Commencer la semaine, effarée de la vitesse, impression qu’écrire précipite le temps. Relire le déroulé précis de tous les gestes que mon père a du accomplir avant l’accident, c’est Anglereaux qui m’a envoyé ça, c’est fascinant, ces incises vers la fin, ses interrogations, je ne sais pas comment ça va entrer dans le récit, je suis loin de cette scène, l’émotion est forte.

Quitter le bureau en passant par Bastille, en quête d’un endroit suffisamment dégagé pour apercevoir la pleine lune, mais elle n’est pas là. Plus tard dans la soirée j’ai beau scruter le ciel depuis l’appartement je ne perçois que sa lueur diffuse, elle doit s’être levée dans mon dos.

Depuis le commencement de ce journal je m’astreins à plus de photographie, parfois la semaine est bien avancée je découvre qu’avec le manque de lumière, la routine du trajet, je n’ai pas eu envie d’images. Il y a aussi celles que je n’ai pas attrapées parce que je n’avais pas mon appareil. Cette semaine me manque le reflet jaune des nuages dans ciel azuréen le matin.

Nous parlons écriture avec Philippe, il me dit le désarroi quand écrire n’est pas ce qu’il veut écrire. Je lui dis comme je redoute les moments d’ennui avec Comanche, je suis toujours heureuse du temps que je passe avec lui, mais certains passages écrits réécrits lus relus parfois il faudrait juste effacer le texte, recommencer ou renoncer.

Les reliques de Noël scotchées sur les carreaux, je pense aux guirlandes façon boas métallisés que ma mère étalait sur les meubles, le parfum boisé de l’aérosol dépoussiérant, le papier kraft fausse neige, les santons héro¨ïques, je ne sais plus à quel moment je n’ai plus aimé Noël.

vérifier le ciel

Au saut du lit vérifier le ciel, retrouver une sensation d’enfance, juste de regarder par la fenêtre, se souvenir de la rosée, son odeur fraîche, les toiles d’araignée perlées, d’être la seule réveillée. De Lisieux ne retenir que la cathédrale, à Cabourg, attraper le reflet du Grand Hôtel sur l’estran.

Trouville, depuis la plage je prends des photos de la jetée, de la Touque. L’homme repéré de dos — dont j’avais envie de faire le portrait mais n’osais pas — me demande s’il est beau, oui vous êtes très beau j’aimerais bien vous prendre en photo, je ne préfère pas, il se ravise, allez-y. Il a envie de parler, la semaine dernière il voyait ses petits enfants, aujourd’hui je suis seul, je fais ce que je peux, son bras trace un cercle dans l’air, souligne la lumière, sa solitude, mais vos amis vous attendent.

Tu veux un sac ? Je me retourne, il n’y a personne, c’est bien à moi qu’elle s’adresse, avec son joli minois, c’est bien un minois, son visage fin, courbes douces et pommettes aiguës, les yeux bruns et vifs, quelque chose d’adorable qui rend le tu troublant, intime, un autre client vient payer, le même tu, presque une déception. Le soir Philippe me dit qu’elle était peut-être québecoise, là bas tout le monde te tutoies.

L’attente devant l’entrée du passage du Cheval Blanc, j’observe la place, distraite, l’ombre des branches sur la façade, leur mouvement me fascine.

Ne devrais pas me réjouir de la tempête au dehors, la mal nommée Aurore ne s’endormira pas. Je ne me réjouis pas, mais j’aime l’illusion que la mer n’est pas loin, je me souviens que la tempête n’était pas objet d’inquiétude quand j’étais enfant dans le Cotentin, c’était vrai encore en Corse, puis à Marseille, nous ne nous inquiétions jamais à l’approche d’une tempête.

La ville jonchée de feuilles, de branches rompues, il y a des poubelles renversées par le vent. Sur le trottoir la tente bleu quechua coincée dans l’indifférence, entre les berlines noires et les déchets. Je tiens ferme le guidon du vélib, quelques rafales encore. Le soir rompue, sentir le poids rassurant de l’édredon sur les mollets, ça n’empêchera pas l’insomnie.

Avant l’entrée au Palais de Tokyo je m’aperçois que j’ai oublié de remettre ma carte SD dans le Canon, frustration. J’écoute ceux qui font connaissance dans la file immense, iels déroulent leurs c.v. impressionnants, le personnel du musée nous rassure, pas plus d’une demi heure d’attente, ça laisse à Philippe le temps de me retrouver. Nous entrons, tentons de suivre un mouvement. La musique envoute, les corps fascinent. Je suis un peu oppressée, gênée aussi de voir la foule compacte collée aux performers, portables tendus à bout de bras, être au plus près de, ça me console d’avoir oublié la carte SD, je ferais quand même cette image à l’iPhone. On choisit d’être à contre courant, on attend longtemps au sous-sol éclairé de rouge, une fumée se diffuse dans l’air, annonce peut-être le début d’une action, notre fatigue prend le dessus, nous renonçons.

ciel dégagé temps calme

Ciel dégagé temps calme, c’était la météo du jour à Oran, le 7 février 1972. Aujourd’hui au cimetière parisien d’Ivry froid sec sous ciel bleu. J’installe peut être un rituel, Alice m’accompagne, me guide même, elle se dirige sans hésiter vers ta tombe, elle est venue plusieurs fois depuis notre première visite l’été dernier, j’aime cet endroit dit-elle. Je découvre les arbres nus tels qu’ils devaient se dresser le jour de ton enterrement. Je sens le froid aussi tel qu’il devait faire trembler Pierrot. Je suis venue tôt, pour ne pas trop grignoter la journée de travail, trop tôt pour que le soleil caché derrière un cyprès réchauffe le granit poli de ta pierre tombale. Seuls les reflets des marronniers nus animent la pierre, le cimetière est désert, même les oiseaux font silence. Nous avons voulu attendre le mouvement du soleil, et puis renoncement. Nous buvons un café serré à la sortie du cimetière, je crois que le patron est kabyle, je ne peux pas m’empêcher d’y voir un signe. Nous nous séparons avec Alice, je souris, qui dans la rue, dans les couloirs de correspondance, pour deviner cette présence nouvelle que je chéris.

épiphanie #3

             

Ce qui se renverse se transforme et c’est autre chose.
Et un soir la nuit tombe.
Je jette de temps en temps un coup d’œil vers le ciel.

                 

                 

                 

tercet composé de manière combinatoire par Pierre Ménard sur le compte twitter de Sandor Krasna