La fiction ce n’est pas inventer

On écrit, on boit du café et Bob Dylan chante (enfin c’est ce que j’ai cru).
Elle ne sait pas comment on dit à quatre mains quand on est justement quatre personnes à œuvrer ensemble, et moi non plus je ne sais pas, je me suis évidement posée la question lors des premières diffusions de notre journal vidéo familial, j’ai la même obsession qu’elle, ce même besoin de précision, Je cherche les usages, il n’y a pas de formule mais une adaptation hasardeuse, on pourrait dire à huit mains, mais à huit mains ça devient étrange, déconcertant, presque monstrueux.

Sur le quai du métro, je la voyais concentrée, elle photographiait sa main, cherchant l’inclinaison, la lumière idéale, recourbant légèrement les doigts, jusqu’à comprendre que c’était la bague qu’elle portait à l’annulaire qu’elle photographiait ainsi, qu’elle exhibait comme une preuve, et que cette photo n’était pas pour elle, mais pour une autre, peut-être une amie, et que sans doute elle voulait provoquer son envie.

La fiction ce n’est pas inventer. C’est au contraire creuser, vérifier, me documenter compulsivement, car je suis incapable de me jeter dans le vide, Je dois comprendre la géographie du lieu, les couleurs, les arbres, les rochers, le sable, je dois savoir si le vent vient du nord ou de la mer. Depuis que j’ai placé une scène à Raf Raf, je reçois des annonces de locations à Raf Raf, Metline, El Haouaria, des lieux que je ne verrai peut-être jamais mais que je dois habiter mentalement pour les écrire, comme si j’y avais vécu.

À l’invitation de Gwen, nous nous retrouvons pour quelques jours à Fontainebleau, avec le projet de marcher, écrire, filmer. Le trajet joyeux en train, l’installation. Nous marchons dans la forêt généreuse, longeons des mers de fougères, des mousses, des graminées, nous grimpons des collines, nous croisons des lézards aux têtes bleues, des géants de pierres, un alphabet mystérieux. Le dernier jour ce sera chemin de halage, la Seine vaste et calme. Et la gare inconnue, et chanter sur le quai désert puis dans le wagon, tout est simple.

Le soir nous jouons. Tes parents sont là que leur dis tu ? La question me bouleverse, parce qu’elle fait apparaître d’un coup le manque. Je n’ai presque pas connu mon père, et je sens l’appel du vide, creusé par l’absence de son corps. Je m’imagine le serrer dans les bras, je ne sais pas qui de moi ou lui est l’enfant, une de ces étreintes fortes, joue collée au torse. Je ne lui parlerais pas, je remplirais mes bras de son corps pour en comprendre l’épaisseur, je glisserais mon visage contre son cou pour m’imprégner de son odeur, même inventée. Ma mère je crois que voudrais la consoler de sa souffrance.

comme si nous étions tous la même personne

En marchant sur les sentiers avec Dodo, les silences et les mots nous rapprochent. Elle me fait découvrir une maison abandonnée. Il y a quelque temps, elle est venue cueillir les jonquilles qui jonchent le sol. Un graveur assez connu y vivait, et Dodo a connu la dernière occupante, la femme du graveur, qu’elle aidait à domicile. En collant mon objectif aux vitres poussiéreuses je pénètre dans la maison. Elle est vide, Il reste au sol quelques gravats, un lavabo accroché au mur et un poêle en fonte ouvragé. Nous faisons le tour de la maison : aucun carreau n’est brisé, les portes sont toutes verrouillées tandis que les volets restent ouverts. Vingt ans se sont écoulés depuis son abandon, et je suis surprise qu’elle n’ait fait l’objet d’aucune intrusion.

Avant que je parte, nous emballons mon butin : le carnet du voyage à Alger de Marie-Louise, quelques photographies encore, une rédaction au lyrisme ampoulé dont l’auteur nous échappe , supposant qu’il peut s’agir de mon père, Dodo me la confiée. Un tableau de Maurice dont la composition, d’après une note de Marie-Louise, aurait été suggérée par mon père à mon grand-père. On devine une femme nue dans les larges touches colorées qui entourent des anémones. J’accumule ces objets, ces témoignages, je souris intérieurement à ma mère qui s’est appliquée toute sa vie à se délester. Avant mon train retour je bois un thé à la gare du Midi avec Catherine Koeckx, et nous évoquons la présence des sœurs Brontë à Bruxelles. Traverser le pont Lafayette se révèle être une petite épreuve après le calme de Lasne.

Nathalie m’avait proposé de revenir dans la forêt. Je manque le train que j’avais prévu de prendre Gare du Nord à deux minutes. Je décide de boire un café pour tuer l’attente, et m’arrête à la boutique Pierre Hermé, où, il y a une semaine, j’avais acheté les macarons apportés à Lasne. Je choisis un parfum — pignons de cèdre  — que je n’ai pas eu l’occasion de goûter. En savourant mon café et mon macaron, je trouve la dépense un peu excessive, elle me déplace, je deviens un personnage de roman. Ce n’est pas la même chose de dépenser une somme pour un cadeau, et de le faire pour soi. Conditionnée par l’enfance aux abois, j’ai l’impression d’accomplir un geste colossal — une sensation qui m’envahit chaque fois que je prends un taxi. Le souvenir brûlant d’une course autour de Montparnasse avec ma mère m’habite encore : je voyais avec effarement le compteur s’emballer tandis que nous étions immobilisées. Je marche ensuite avec Nathalie, sous un soleil trop ardent que les arbres, encore nus, peinent à filtrer. Comme ma cousine, elle connaît tous les sentiers, choisit les détours qui révèlent une mare, une tour étrange, un chemin tortueux, le réconfort infini à me laisser porter. 

« Ce n’est pas ce dont nous avions rêvé… »
Ce soupir traverse l’Histoire, prononcé dans toutes les langues et tous les dialectes du monde avec le même chagrin, la même rage, la même résignation, comme si nous étions tous la même personne.

Maria Grazia Calandrone, Ma mère est un fait divers.

Y revenir

La première fois que je suis venue à Lasne c’était déjà en septembre, il y a six ans, depuis chacun de mes voyages est enveloppé de l’émotion du premier. Ma cousine et son mari m’attendent à la gare, ils ne me font qu’une bise, je suis surprise, j’avais oublié qu’en Belgique on s’embrassait ainsi. Comme la première fois que je suis venue, il fait beau. Dans le jardin il y a de nouvelles ruches. Phil va régulièrement les inspecter, de loin on l’observe parfois faire de grands mouvements, il chasse les frelons qui rôdent. Je le rejoins, m’inquiète qu’il ne porte aucune protection, il a besoin de travailler à mains nues, je le comprends, il m’a fallu plus d’une semaine pour éliminer la teinte grise incrustée dans ma peau après l’expérience cyanotype, moi non plus je ne sais pas travailler avec des gants.
Le soir, la tendresse pour ma chambre lambrissée, sa fenêtre sans garde corps, le lierre autour.

Un message de son compagnon m’apprend la mort du père de mon meilleur ami. Troublée de l’apprendre ici où j’ai retrouvé le mien. Troublée parce que le matin même, alors que ma cousine me proposait de récupérer des objets qu’elle n’avait pas vendus à la brocante, j‘ai hésité devant un 33 tour de la cinquième symphonie de Malher, symphonie que nous écoutions religieusement avec A l’année du bac, en dégustant du thé à la cannelle. Les mots que je lui envoie, le sentiment de maladresse, l’envie brutale de le serrer dans mes bras.

Glanage de noisettes. Les tournesols nous tournent le dos sans pour autant regarder le soleil, désorientés. La terre grasse sous nos pas. Marcher dans les champs, dans les chemins creux, en lisière de forêt, un éclat de lumière sur une fougère, parler à peine, être ici dans une bulle. Le soir on dîne chez les amis de Waterloo qui se réjouissent d’avoir quitté Bruxelles pour vivre à la campagne.

Avec Dodo nous avons réouvert des boîtes et des albums, j’ai l’impression que leur volume a diminué, les photos ont été triées, j’en ai récupéré certaines lors de mes précédents voyages. On identifie enfin la troisième jeune femme de la photo de la meulière. Combien de fois l’avons nous regardée sans pouvoir la nommer, nous l’avions pourtant croisée souvent sur d’autre images, mais n’avions pas établi de lien entre ce visage rayonnant, dont le sourire envahit littéralement l’image, et les autres portraits. Le changement de décor, la tenue apprêtée, la joie avaient brouillé les pistes. J’évoque avec ma cousine les deux portraits d’Antoine que j’ai fini par relier avec une même audace. On ouvre le journal de mon arrière-grand-père pour retrouver le prénom de la jeune femme, elle porte le même que ma grand-mère (elles étaient belles sœurs), et se voit parfois affublée d’un Mimi pour ne pas être confondue avec Marie-Louise. Le journal, écrit dans un cahier d’écolier, recouvre une période très brève, chronique de l’exode après que la famille se soit séparée. Saisissant de lire ce récit de l’intérieur, à la première personne, la peur, les queues interminables, les gares envahies, les familles couchées à même le sol des gares ou sur les petits colis qu’elles devront abandonner plus tard, l’épuisement du grand-père, la voix de la police dans les hauts parleurs indiquant les routes où l’on pouvait encore passer, des nuées de fuyards couchés aussi sur les trottoirs, pleurant, mangeant, impossible à croire si on ne l’a pas vu. On déniche encore quelques photos inconnues, des souvenirs me semblent de plus en plus réels.

On fait une dernière marche le long de la Lasne. On boit un thé à la rose. On prépare des tartines pour le voyage. Le train qui devait me conduire à Bruxelles est supprimé, le suivant retardé, nous commentons à voix haute les panneaux, pestant contre le manque d’information. Un homme partage avec nous sa lassitude, il vient comme moi d’acheter son billet mais voit s’éloigner la possibilité de rejoindre Bruxelles. Avec Dodo on échafaude des plans, elle n’a pas trop envie de conduire jusqu’à Bruxelles, je peux encore annuler mon billet pour Paris, et passer la nuit chez eux. Jouer les prolongations m’amuse plutôt, mais le type se tourne vers moi et prononce cette phrase cinématographique : j’ai peut-être un plan B à vous proposer. Lui il ne veut pas louper son concert, il va chercher sa voiture et propose de me déposer à la gare du Midi. J’embrasse rapidement ma cousine, saute dans la voiture. Mon sauveur est bibliothécaire, va écouter The The à l’Ancienne Belgique, le week-end dernier il flânait à Paris. Je me décide trop tard à photographier le ciel illuminé par le couchant, régulièrement il me rassure sur le timing. Après l’avoir remercié une dernière fois je marche vers l’entrée de la gare, sans même connaître son prénom. Je retrouve Philippe dans son grand fauteuil gris, l’odeur réconfortante de la maison. Je range mes affaires, je réalise que mes chaussures de marche sont restées dans l’entrée de la maison de Lasne, cet oubli a une allure d’engagement, y revenir bientôt.

les actes manqués

Retour à la Vieille Charité pour un café, puis le FRAC. En me déplaçant dans la ville je savoure le lien qui se renforce depuis les séjours réguliers que nous y faisons, impression que la beauté c’est aussi ce qui nous est familier.

Le mistral a refroidi la mer, une aubaine pour les poissons, ça me réjouis momentanément. Ciel en feu comme chaque soir depuis notre arrivée, le ciel est sans doute ce qui me manque le plus à Paris.

Depuis Notre-Dame de la Garde, filmer chacun un plan au même moment, d’un point de vue différent, que nous intégrerons dans le montage d’août du journal familial. Nous marchons dans le quartier de mon ancien lycée, je redécouvre la place Notre-Dame du Mont. Depuis la cour de la Cantinetta, j’observe le cuisiner s’agiter dans sa loggia, lui trouve un air de Nanni Moretti.

Aux Goudes, des baigneurs à l’abri de criques plus ou moins accessibles, nous préférons marcher. Nous déjeunons dans le restaurant le moins fréquenté, le patron hâbleur nous demande d’où nous venons pour mieux nous raconter sa vie ensuite, il nous offre les cafés au prétexte que je suis corse, comme lui. Marche jusqu’à l’église de Montredon, en contrebas le village attire, mais peu probable d’y trouver un troquet, nous choisissons le pub face à l’église, avec Alice nous pensons immédiatement au voyage anglais.

Déjeuner au Dugommier, j’affirme aux filles que chaque fois que nous venons ici nous rencontrons quelqu’un, mais c’est août, et presque désert. En arrivant à la Belle de Mai, surprise de rencontrer Annabelle, nous parlons et je réalise que je n’ai pas produit de vidéo depuis trop longtemps. En voulant filmer une installation je m’aperçois que j’ai oublié de remettre la carte SD dans l’appareil et que j’ai égaré celle de secours. Alice s’échappe, elle rentre à Paris.

Nous prenons un café à proximité du Vieux Port avec Nina avant son départ. Dans l’après-midi première baignade plage du Prophète, j’aime voir la ville en surplomb. Devant nous sur la plage, alors que ses enfants sont partis se baigner avec leur père, la mère remet de l’ordre, secoue les serviettes, redresse le parasol, j’aime son énergie, sa manière ensuite de poser son corps sur le sable, son front sur ses avants-bras.

Réveillée par un cauchemar, sur mes lèvres la sensation des baisers que je posais sur le front de Philippe blessé. La lumière n’est pas habituelle, la ville s’efface dans la brume, je n’avais jamais observé ce phénomène à Marseille. Je n’écris pas comme je l’avais imaginé, je fais très peu de photographies, les actes manqués se multiplient, je décide que ce n’a pas tant d’importance.

retrouver la nuit

Alice veut jouer, sommes-nous capables de dresser la liste des cinquante états d’Amérique ? Chacun penché sur notre carré de papier, nous finissons par sécher, dix états oubliés, nous manquaient entre autres, Nebraska, Dakota, Wyoming. Me revient la chanson de Luna Parker, je leur apprends que le Éric des États d’âmes… c’est Éric Tabuchi, me demande si lui aurait pu tous les citer.

Marche avec Alice et Philippe pour rejoindre le musée de la Vie romantique, à l’accueil ceux qui nous précèdent se voient refuser l’entrée, ils avaient fait deux heures de route pour venir, implacables jauges et réservations, nous renonçons et poursuivons la balade dans le neuvième, beau quartier, mais toutes mes photos sont ratées. Le soir, Bourvil dans Le cercle rouge, sa mélancolie me bouleverse.

Retrouvailles avec les membres de L’aiR Nu pour l’AG annuelle, couscous boulevard de Ménilmontant, échanges autour d’un nouveau projet auquel nous pourrions participer très concrètement, Gilda nous raconte ce moment de bascule qu’elle a vu s’opérer en librairie, la vie éphémère du livre, la loi des retours, se rappeler que le livre c’est une industrie, ça ne fait pas rêver, marche retour sur le boulevard, l’air doux, les techniciens entretiennent la station Vélib où je prends mon vélo chaque matin, de nuit c’est assez étrange, cette scène m’entête le lendemain, j’ai cru que c’était un rêve.

Je lis le livre de Xavier Georgin, 23 poses manquantes, je suis émue, et la surprise d’y croiser un personnage féminin « Clo », qui porte le petit nom donné à sa soeur par mon père, l’époque, le territoire évoqués entretiennent mon trouble, je cherche d’autres fantômes dans son texte, je crois que je m’accroche à l’idée que nos morts se sont croisés comme pour m’assurer de leur existence. Il m’arrive de chercher leurs visages sur de vieilles cartes postales, dans des ouvrages photographiques, récemment le Belleville 1965 en couleurs, où je n’ai pas trouvé mon père.

Les nuages les immeubles mornes se couvrent d’un gris tiède, il y a un air humide et chaud aux relents de tropiques. Le sms de Nina, un train annulé, elle n’aura pas son avion a Pise, les retrouvailles avec les amis du Tiers Livre — Juliette n’avait pu nous rejoindre la semaine dernière, cette fois c’est à Laumière autour des choux à la crème d’Emmanuelle — mettent heureusement à distance l’inquiétude, dans la soirée j’apprends son retour mouvementé à la case départ, sa rencontre avec la vieille dame russe polyglotte, demain elle prendra l’avion depuis Nice.

Message laconique et triomphant de Nina, deuxième avion ! Retrouvailles à la crêperie avec Gracia et Milène, échanges vifs, on rit beaucoup, on parle d’écriture, quelque chose s’ouvre, nous traversons l’esplanade , Milène dit qu’elle aime bien cet endroit, les couples qui dansent, je ne les avait jamais vu auparavant. Je décide de rentrer en marchant, je pense aux errances et à l’insouciance qu’évoquait Gracia, j’aime retrouver la nuit, avant minuit message rassurant et ravi de Nina.

Tellement de questions sur Le Comanche, j’ai l’impression qu’il va falloir tout déconstruire, me concentrer sur la rencontre, ce vertige je crois bien que je ne saurais pas écrire sans. Je pense à la photo du mur de l’immeuble où vivaient mes grands-parents à Bastia, l’effritement, une plante qui pousse dans la fissure, une armature mise à nue, ça fait son chemin. Nina nous envoie quelques photos depuis Aci Castello, ça réveille doucement une envie de voyage.

une attention différente

Nous nous décidons pour l’île Saint Louis, longtemps P y a marché seul, maintenant nous marchons ensemble, filons par le faubourg Saint-Martin, cars de CRS, uniformes, air lourd, tension palpable en approchant la Seine, nous traversons. Le soleil appelle un café, place Saint-André des Arts, la pleine lumière, l’échange vif, l’acuité, les sensations douces, je le prends en photo, nous repartons vers la place Dauphine, j’ai l’impression que c’est la première fois que je m’arrête sur cette place, vidée de touristes, ici la ville calme.

Dimanche studieux avec P et A, tous les trois à écrire, nouvel équilibre, une attention différente, sentir l’absence de N, à cet instant je reçois le sms où elle m’annonce qu’après le 3 elle passera à Paris, s’habituer à ce que dorénavant elle dise je passe à. Le ciel s’est alourdit, nous prenons le prétexte d’une glace pour sortir, foule au dehors, quelques passant.es se découragent sous les premières gouttes.

Retrouver D pour une dînette, deux fois en quinze jours, la voilà presque parisienne, elle me raconte que ses parents lui ont fièrement rapporté une boîte du Vaucluse, des souvenirs auxquels elle ne voulait pas être confrontées à ce moment là, son refus d’abord à l’ouvrir, j’essaie de comprendre, tout juste rentrée de Belgique avec les photos et les lettres de mon père, ma lutte contre l’effacement en alerte.

Journée de travail dense, un peu ennuyeuse, je décide de rentrer à pieds, en quête d’images, d’un événement, j’avance dans les rues en me laissant guider par la lumière, aller là où le soleil réchauffe les murs. La nuit, entre deux réveils, découvrir l’énorme araignée observée ce matin au plafond, elle rampe maintenant dans le coin du mur à cinquante centimètres de mon oreiller, éclairée par la lueur orange de la prise anti-moustique, dans le lit je me fais toute petite, nuit agitée.

Une image idéale qui s’impose dans le texte en cours pour l’atelier, un souvenir nourri/fabriqué, peut être que je me tends un piège, je m’impatiente déjà.

Avec G, nous mangeons des crêpes, ça devient une habitude, j’aime les questionnements qui surgissent, les émotions qui nous traversent, le rapport à l’écriture, elle pointe un de mes abus de langage « il/ elle/ je m’autorise à », je décide de m’en débarrasser, maintenant j’écris. Ça file vite, oui c’est court à midi mais si on le fait souvent c’est bien.

Retrouvailles à La belle équipe autour du livre de Xavier, en tête le procès des attentats, je n’en parle pas, émue de me retrouver sur cette terrasse où il y a un an nous étions avec Martine T, Thibaud et Xavier, se souvenir de nos échanges autour de nos chantiers, repartir avec le livre de Xavier, tentation de me promettre que dans un an c’est mon tour, renoncer l’instant suivant. Bue enfin cette mauresque avec PCH.

la mer finit toujours par nous appeler

Recevoir le sms de mon amie L, je suis chez ma maman, comprendre que le père est mort, à revenir toujours dans les lieux d’enfance, prendre le risque de ces douleurs quand ceux là nous quittent, qui avaient eu la parole douce et juste, qu’on aimait en secret comme d’autres pères possibles, entendre encore sa voix rocailleuse, l’accent italien qu’il n’a jamais perdu, l’an dernier l’apercevoir au couchant, main dans la main avec sa femme. N est arrivée, deux heures plus tôt qu’annoncé, je voulais te faire la surprise, elle a porté sa valise dans la rue pour que le bruit des roulettes ne donne pas l’alerte.

La lune fragile, comme un décor de carton pâte au dessus de la côte au loin, croissant orange secoué par les vagues, la nuit noire autour, on y va ? sur la plage une lumière vacillante qui avance, presque inquiétante jusqu’à comprendre que c’est une femme qui promène son chien, les constellations encore.

Rêves récurrents de trains manqués. La première fois c’est P qui traîne, ralentit toutes les actions d’avant départ comme s’il voulait vraiment qu’on le rate ce train, je n’arrive pas à m’imposer, dire là il faudrait vraiment qu’on y aille, je me réveille oppressée. La deuxième fois c’est l’agent du guichet qui refuse de me vendre un billet, je me réveille en nage, me demande quel est ce train qui se refuse.

Nous partons avec N, envie d’aller voir de plus près la mare de Bouillon, nous marchons au pied de la falaise, prenons une route en espérant qu’il y aura bien à un moment à travers champs un sentier pour rejoindre la mare, ne pas oser, se résoudre à rebrousser chemin, prendre la route principale, voir A surgir et nous dire qu’elle vient de la voie indiquée sur le plan, qu’on ne verra pas la mare, qu’elle n’est pas accessible, le temps tourne, le café trop rapide, le ciel menaçant nous pousse à rentrer.

Avec P nous quittons le bourg vers le sud, trouvons une jolie route de campagne, un peu de lumière perce, au loin je crois reconnaître la départementale, nous finissons par la rejoindre, à cet endroit pas de trottoir, couper à travers champs, retrouver le sentier littoral, entre les deux cabanes, le Mont au lointain, vertige à flanc de falaise.

Rituel quotidien, aller voir la mer, une, deux trois fois par jour, cette fois je croise AH, entamons une longue conversation, on évoque une ancienne figure de l’avenue, elle m’apprend que son mari a disparu pendant les bombardements à Caen, c’est là qu’elle a commencé à trembler, on se raconte nos explorations de lande et de campagne depuis l’enfance, comment la mer finit toujours par nous appeler.