faire avec les légendes

J’ai bien cru que j’allais pleurer, mais je ne sentais nulle part le soutien nécessaire à mes larmes. Et ça n’aurait rien changé que je pleure. Et peut-être qu’on a raison de me le dire, peut-être que ça n’en vaut pas la peine. J’ai fait avec cette amertume jusqu’au coucher, et le lendemain encore, la gorge était serrée, prise dans un étau invisible.

Corbera. J’ai écrit à l’adjointe chargée de la mémoire et du monde combattant. J’ai ouvert le fichier que j’ai nommé Corbera tourbillon pour le distinguer de Corbera 1, je l’ai refermé aussitôt. À cette étape, je ne peux pas me contenter d’interstices, à des heures où je n’ai plus l’énergie de refléchir, embrouillée par le bruit du monde qu’il faudrait pouvoir ignorer.

Devant la librairie entièrement vidée faute de repreneur, les bibliothèques encombrent le trottoir qui feront peut-être des heureux. Les murs ont été rachetés par une marque de baskets.

En lisant La maison vide, le passage sur le monument aux morts m’a ramenée à Bastia. Ma petite sœur appelait montagne le monument de la place Saint-Nicolas. Pourtant rien ne m’y fait penser, c’est un bloc à l’allure sobre surmonté d’un bronze representant une mère qui donne son fils à la Mère patrie. J’imagine que la hauteur et la masse du monument pour une toute petite fille de son âge, trois ou quatre ans à l’époque, pouvaient faire l’effet d’une montagne. La mort, une montagne. Cherchant des images, je découvre qu’à l’origine le socle était une roche brute, ni elle ni moi ne l’avons connue ainsi, mais peut-être est-ce cela qu’elle avait deviné.

J’entends Nights in White Satin et je pense immédiatement à mon père. Désormais ce n’est plus une pensée mais une présence, presque charnelle. Mon frère que j’ai beaucoup questionné alors que j’écrivais Comanche, m’avait confié qu’il se souvenait de lui écoutant cette chanson. Constater à quel point la musique peut nous relier par-dessus le silence, les années, la disparition.

Le ciel était d’un bleu impératif, il fallait sortir. Dans le jardin Villemin un couple est couché dans l’herbe et je crois bien qu’ils dormaient. C’était émouvant de sentir leur abandon, de voir leurs mains l’une dans l’autre. J’ai marché jusqu’à la République pour retrouver un repère. Et c’est son visage, celui de l’Égalité qui me reconforte.

À La Fontaine, retrouver Denis, rencontrer sa compagne, évoquer les moments passés ensemble, puis séparement à la Ciotat. Ils ont lu Comanche, sont frappés de ces croisements dans nos parcours et projets. Au moment de sa lecture Denis retrouvait la tombe de son père et prenait en charge la concession. Marion m’a demandé si j’avais un autre projet. J’ai parlé de Corbera, de mes doutes, de ce qui résiste. Je suis moins portée dans l’écriture, même si je m’invente encore des parcours, des prétextes à la marche et à la rencontre. Mais les témoins disparaissent, les voix se raréfient. Je dois faire avec les légendes. On se fait des promesses avant de se quitter. Puis nous allons diner de nouilles chinoises avec Alice qui gentiment nous invite, nous fait le récit joyeux de son séjour à Granville et Carolles, ses marches dans les vallées de mon enfance.
Désertées en cette saison.







croyances et légendes

Nous allons nager avec Magali, testons un bassin olympique, retrouver le goût de l’eau, la clarté, le bleu, le parfum du chlore, mains raidies trop vites. Traverser la Grange aux belles pour la visite du siège du Parti communiste, ses allures de vaisseau à l’intérieur, je me demande si ma tante Annie y est déjà entrée, trente années à vivre en face, à les défendre passionnément pendant les repas du dimanche. On veut monter sur la terrasse, à l’accueil on nous bouscule, dépêchez vous ça va bientôt fermer.

Dans le train pour Combs-La-Ville, toujours nous montons à l’étage, depuis Brunoy apercevoir les rives de l’Yerres, les maisons de la rue des Vallées, envie d’y aller, peut-être retrouver la maison des Breffort, pensais ce chapitre clos, mais la lumière de septembre, le charme des villas anciennes justifient l’exploration. Dans la soirée les doutes de Nina, l’inquiétude d’Alice, c’est décidé elle part pour Catane demain.

Plusieurs réveils dans la nuit de lundi, la pleine lune, je la photographie qui joue avec les nuages, j’aperçois la grande araignée taquine dans l’encoignure de la fenêtre.

Rendez-vous annuel chez l’expert comptable, la veille avais observé sur le plan de Paris la proximité du cabinet avec la place de l’Étoile, ce matin découvrir l’Arc drapé, blanchi de lumière, le bleu si franc derrière, une présence irréelle, saisie, émue, malgré le flot d’images déjà parues, malgré la circulation ouverte en semaine, prise par le temps, me promets d’y revenir pour les détails.

M’accorde le temps d’écrire un texte pour l’atelier, tout se tend en cette rentrée, résister à la frénésie ambiante. Je découvre la revue à (re-)naître de François Bon, grande envie d’y participer, même si je devrais me méfier de mes emballements, et finir peut-être un des chantiers ouverts.

Le temps s’ouvre un peu, quelque chose de joyeux, laisser faire. Je sauve quelques images de la semaine, j’apprécie le poids de l’appareil, l’effort du cadre, l’intention, et toujours ce temps décalé pour découvrir les photos sur l’ordinateur. De bonnes nouvelles de Nina depuis la Sicile, le voyage a pris un tournant inattendu et heureux.

Soirée amicale, Simona l’amie italienne d’Arnold me demande quels sont nos liens avec l’Italie, j’évoque l’arrière-grand-père du Piémont, Bagnatica, j’entends la voix de ma mère marquant l’appui sur la deuxième syllabe, un village près de Bergame, elle me reprend, Mais c’est la Lombardie ! Depuis toujours j’avais entendu — enfin il me semble — qu’il venait du Piémont, arrière-grand-père c’était suffisamment lointain pour que l’approximation maternelle me contente, mais si je l’écris je dois être juste, cette confusion me touche, sa fragilité qui dit tant sur la famille, ses croyances et légendes.