merci, je vais bien

Marche dominicale, passage au Salon de la revue.
 Pendant que Philippe discute avec son éditeur, je me perds dans la conversation voisine. Je remarque la couverture jaune d’une revue posée sur la table, L’Ochju. Le titre m’arrête. L’œil, en corse. J’entends : insularité, langue, accent. Je me joins à la conversation, presque impolie. J’échange avec la jeune directrice de la revue, repensant à la description que mon frère avait faite de notre grand-mère Pauline, se souvenant de la langue corse qu’elle parlait souvent, et de son accent, dont je n’ai gardé aucun souvenir. Cette absence m’a frappée, un morceau d’identité m’avait échappé sans que je m’en aperçoive.

Nous traversons le jardin en hommage aux victimes du 13 novembre, dont Juliette nous avait parlé lors de son passage à Paris. Dix ans. Ne pas y croire. Je lis les noms des victimes gravés sur les stèles symbolisant chaque lieu touché lors des attentats. Entre les stèles, un jardin reprend le plan des rues. Une note explicative m’apprend que, la nuit, des lueurs ponctuent le jardin, disposées selon la voûte céleste du 13 novembre 2015. Une nuit de novembre, on ne peut qu’imaginer la place des étoiles.

Nous rentrons par la place de la République. Des drapeaux bleu-blanc-rouge flottent, agités par un petit groupe de prétendus patriotes qui réveillent la méfiance.

Voyant la lune haute dans le ciel, un enfant demande à sa mère si elle a des ailes. Elle lui répond que non. J’aurais aimé qu’elle lui dise que c’était beau d’imaginer cela. L’enfant insiste, Mais pourquoi la lune n’a pas d’ailes ?

Attachant la broche de Pauline sur ma veste, je m’étonne de la manière dont mon attention aux objets change. Cette broche, que ma mère m’avait donnée simplement parce que je la trouvais jolie, aujourd’hui se charge d’histoires, de présences. Je la touche parfois, en marchant dans le quartier, avant de monter sur un vélo, comme un talisman. Cette attention mouvante, je crois que c’est une forme de mémoire.

L’ami finit son message en m’écrivant J’espère que tu vas bien.
 Je n’ai pas su lui répondre. Écrire merci, je vais bien serait forcément assujetti à une litanie de si j’oublie.

Si j’oublie…

Si j’oublie…

Si j’oublie…

Alors oui, je vais bien.

La vidéo d’Anh Mat. Le taxi quotidien avec Isabelle.
 Elle demande à son père s’il préfèrerait visiter les morts ou les ressusciter.
 Je me dis que c’est ce que je fais, la plupart du temps, quand j’écris — mais je ne désespère pas d’en avoir fini un jour avec mes morts.
 Écoutant les voix familières d’Anh Mat et d’Isabelle, m’invitant à sortir pour savourer la journée ensoleillée qui s’annonce, je réalise qu’ils me manquent. Je leur envoie un message vocal.
 Anh Mat me répond quelques instants plus tard.
 Derrière sa voix, j’entends Isabelle qui chante.
 Et je me dis que les voix parfois nous relient, malgré la distance.

nom de pays

14 avenue de Corbera. En fait d’avenue une petite rue du douzième à Paris. Une rue courte et discrète, entre Charenton et Crozatier. Un passage qu’on ne remarque pas, sauf à y être né, ou presque. Sauf à y avoir vécu, ou aimé quelqu’un qui y a vécu. Cent deux mètres d’asphalte et d’oubli, sauf pour les nôtres, ceux qui ont vécu là. Sauf pour ceux qui y reviennent en pensée. Corbera, nom sec et nerveux, nom de terre aride et d’oiseau noir. Nom de pays secoué par les vents. Corbera, nom longtemps répété, murmuré avec tendresse. Ancrage des grands-parents après avoir quitté la Corse. Corbera nom d’après l’exil. Corbera, mot-refuge. Corbera évoque un village, une île, un abri. Corbera, l’appartement. C’est là où tout commence. Trois pièces au premier étage, peut-être quatre si l’on compte la cuisine. Mais on ne compte pas, on s’entasse, on s’efforce de respirer dans l’épaisseur des jours. Corbera où ma mère a été enfant. Où ma mère a été épouse. Corbera maison natale, où je ne suis pas née, mais ai été enfant à mon tour. On ouvre la porte, et le décor se révèle. La cuisine beurre frais, les poignées en laiton, les miroirs biseautés, les reflets d’une époque close. Les placards, les tasses en grès, la porcelaine, le Limoges peint à la main. Corbera, sa lumière ambrée, ses couleurs de photo dénaturée. Dans l’espacement des murs flottent des lambeaux de peur. Peur diffuse, sans nom. Peur de frôler l’ombre d’Antoine. Peur traversant les rêves de Pauline. Peur du couloir traversé à la hâte, baissant la tête pour éviter le regard des ancêtres dansants sous cadres. Sur les murs du séjour, une tapisserie ornée de pivoines en camaïeu d’ocres. Une nappe blanche sur la table. Un compotier garni de frappes. Les franges de mandarines coupées à la pointe du couteau. Le paquet de Gauloises bleues. Les volutes de fumée qui enveloppent les visages. On ne peut ignorer le buffet. Masse brune. Demeure. Il faut en dire l’odeur — café, cire, miel de châtaignier. Le buffet, un pays. Au-dessus, l’Annonciation de Fra Angelico fait fenêtre, ou plutôt alcôve. Une chambre secrète où peut-être les fantômes reviennent. Les rideaux rugueux, les appliques à ampoules torsadées, l’abat-jour à franges, tout tient dans une théâtralité silencieuse. La chambre verte, lieu d’attente et d’oubli. Le miroir à trois pans, mon reflet démultiplié à l’infini, comme une preuve que j’ai existé, enfant, dans ce lieu-là. Le réduit au bout du couloir. Sa vitre et sa fêlure en forme d’œil. L’œil regarde, il sait. Corbera, lieu des premiers souvenirs, même sans y être née. Fragments disjoints. Le damassé. Les couverts alignés. La soupe de vermicelles au lait. Les pieds de chaise en bois sculpté, les petites mains qui s’y agrippent. Le bruit du moulin à café. Corbera où l’huile frissonne sur le feu. Où les miettes s’accrochent au tapis persan. Où le placard sent le sucre. Où les tiroirs débordent de crayons, de gommettes, de cahiers d’écoliers. Où dorment les bijoux, les dents de lait au fond des boîtes. Où la grille accordéon de l’ascenseur grince comme un cri. Où montent les odeurs de palier. Corbera où se mêlent les jeux câlins les mains tendres les comptines la chèvre de Monsieur Seguin. Les chants graves. Les cauchemars de ma grand-mère. Sa voix rauque et mes yeux ouverts dans la nuit. Les vagues de velours contre le front. La lumière des phares des voitures qui passent en contrebas dans la rue, coulent lentement sur le plafond, dessinent des ombres mouvantes. Silhouettes liquides, images tremblées. La peur. La joie. Je ne savais pas nommer. Quelque chose avait été brisé là, et personne n’en parlait. Ma grand-mère, ma tante, ma mère. Leurs voix s’élèvent depuis la cuisine, feutrées, hachées, tissées d’accent et de silences. Corbera un lieu heureux, un havre, une enfance préservée. Un lieu magique dans les récits marqué secrètement par une fracture. Corbera m’appelle. Avec lui, ses fantômes. Leurs bras tendus s’amenuisent, ondulent, me traversent parfois. Me montrent une direction que je ne comprends pas encore. Corbera, refuge mental, atlas miniature, théâtre intime. Corbera, un lieu fragile, au bord de l’oubli.

la fidélité de laine

Ce lundi matin je reçois un courriel du SHD de Caen. Je l’attends depuis des semaines, mais j’ai, avant de l’ouvrir, ce léger recul que produit l’attente quand elle touche à sa fin. En pièce jointe, un fichier PDF de dix-huit pages. La première page reproduit la couverture du dossier du Ministère des anciens combattants et victimes de guerre. Son nom s’inscrit entre deux lignes tracées à la règle, POLETTI. Une calligraphie à la fois scolaire et solennelle, avec empattements. Puis son prénom, puis sa date et son lieu de naissance. En haut à droite, un tampon. Mort en déportation. En lettres frappées.
Mort en déportation.
Je lis, je relis, je le sais, ça demeure insensé.

Page deux, l’image que j’espérais sans vraiment croire qu’elle existait. C’est une petite photographie en noir et blanc. Antoine. Le front haut. Son regard, dense, direct, se pose sur l’objectif, qui donne à l’image une intensité silencieuse. Il ne sourit pas, son expression concentrée oscille entre douceur et gravité. Vous n’aurez pas ma peur. Il porte un manteau épais et une écharpe à carreaux, nouée autour du cou. La matière laineuse de l’écharpe dit le froid de ce matin là. Je cherche les données météo du 7 mars 1944. À Paris, les températures étaient fraîches, avec une maximale de 6,5 °C et une minimale de -1,3 °C. Aucune précipitation n’a été enregistrée, ce qui suggère un temps sec, probablement sous un ciel dégagé ou légèrement nuageux.

Jusqu’ici, je ne connaissais que deux autres photographies où Antoine apparaît. Car c’est bien d’apparitions qu’il s’agit. Sur les clichés de mariage de sa sœur, puis de son frère, où il se tient, toujours à la même place, au dernier rang, deuxième en partant de la droite. Relégué au second plan de la mémoire, à la marge de l’histoire familiale. On devine un léger sourire sur la première. Sur la deuxième, prise deux ou trois années plus tard, je l’ai reconnu difficilement. Le regard s’est voilé de tristesse, il s’est rasé la moustache. Mais ici, Antoine est seul face à l’objectif. Centré. Présent. Intense. C’est d’une photo saisissante, qui me regarde autant que je la regarde. C’est la dernière photo d’Antoine, il avait quarante ans. Cet équilibre fragile entre gravité et douceur, cette expression que je crois il compose, il se concentre, c’est un acteur. Comme s’il savait que ce cliché serait le dernier, mais qu’il tenait à nous rassurer. Je la regarde depuis des jours, quelque chose se brouille, m’échappe. Trop d’attente, d’émotion. Peut-être que ce que j’y cherche me fait peur. J’ai montré la photo à d’autres, sans leur en donner l’origine, l’image tendue comme une question, en deux mots que lis-tu sur ce visage ? Souvent, leurs réponses m’ont ramenée à mes propres intuitions.

Un air éveillé, curieux du monde, avec un rien d’inquiétude — cette intranquillité allant de pair avec l’ouverture au monde. L’ici maintenant appelle une chose ancienne, et sur les lèvres, une amertume. L’énergie et le désarroi de l’amour enfantin. La joie et la tristesse contenues d’une peur prise au dépourvue d’être soulagée. Il est surpris par quelque chose, et sérieux, comme s’il cachait quelque chose. Il tente de faire bonne figure, de n’éveiller aucun soupçon — mais il sait que l’objectif le trahit. Une forme de recul présente dans le corps même, cherchant à se protéger. Le dégoût, le refus de quelque chose qui se lit sur les lèvres. On sent l’honnêteté et la force dans son regard. Les deux yeux ne disent pas la même chose : le gauche semble triste, le droit exprime une concentration neutre face à l’objectif. Je suis perdu — et aussi , où êtes-vous ? On parle de lucidité grave. De vide. D’une attention extrême. De quelque chose de romanesque, ou d’héroïque. Il fait face à l’adversité des choses, il n’y a pas de retour possible. Il s’engage dans l’inconnu, les yeux ouverts. Un homme qui connaît le rêve comme l’engagement. Le sérieux et l’ironie. Quelqu’un qui vient de voir quelque chose de terrible, et qui l’affronte. Et pourtant une douceur. Quelque chose d’illisible. Quelqu’un d’intelligent et sensible, qui prend du recul pour digérer ce qui est en train d’arriver. Quelqu’un qui voit venir quelque chose, et dont l’écharpe ne le protège pas, mais fait douceur. Quelqu’un qui regarde. Qui ne se dérobe pas. Et qui semble, dans un même regard, dire l’attention, la peur, la tendresse.

C’est une photo qui m’obsède. Depuis que je l’ai reçue, chaque jour je la regarde, et je suis incapable, pour l’instant, de fouiller la suite du dossier. Je m’attarde sur cette écharpe de laine nouée autour de son cou, les lignes tissées des carreaux. Je pense à la fidélité de la laine, qui conserve l’odeur de ceux qui la portent. Peut-être s’y mêlaient le tabac, le savon, l’odeur métallique du froid. L’odeur du lit tiède. Parce qu’ils sont venus au petit matin, avenue de Corbera, ils l’ont fait sortir du lit qu’il partageait avec mon oncle Jean. Peut-être la peur du jour à venir. Je veux seulement m’attarder sur ce visage, son regard droit, si soudainement familier. L’amertume de la lèvre. Je vois une ressemblance avec ma tante chérie. À travers cette photographie, c’est toute une lignée qui refait surface, un tissu familial dont je saisis un fil oublié. Je me demande ce qu’il a pensé en nouant son écharpe. S’il a regardé par la fenêtre. Ce qu’il a dit à son neveu, à sa sœur, est-ce qu’il a trouvé la force de leur parler ? Est-ce qu’il en a eu le droit ? L’appartement, je l’ai connu. Enfant, j’y ai dormi. Je me souviens des tapis, de la tapisserie à fleurs, de la lumière à travers la fibre des rideaux. J’imagine le lit partagé. Les bruits contenus. Les gestes mesurés. Sans doute faisait-il encore nuit. Quel itinéraire a suivi la Traction Avant jusqu’à la rue des Saussaies ? Ont-ils longé la Seine ?
Je me demande à quoi Antoine a pensé au moment de la photographie. Ce qu’il savait. Ce qu’il a laissé derrière lui.
Je ne sais pas et cette ignorance devient le centre de mon attachement.
Je pars de là. Une photo. Une absence.
Un lieu qui persiste dans la mémoire, des fragments. Des souvenirs qui ne sont pas les miens.
Je sais seulement que cette image existe.
Et que quelque chose de lui résiste encore à l’oubli.

s’absenter aux autres

Mes jambes se dérobent, j’abandonne l’idée d’avancer sur les cyanotypes aujourd’hui, je me couche dans la chambre de Nina, je redoute de n’être pas remise pour la lecture de jeudi, la lumière de l’après midi me replonge dans l’ennui des siestes d’enfance, mais je m’endors.

Il regarde ma gravure, le flou des arbres. Même si je sais qu’il évoque le courant artistique, c’est très surprenant de l’entendre employer cette formule, tu es romantique. J’apprends, effarée, que les cyanotypes s’effacent sous les UV, mais qu’il suffit de les plonger dans l’obscurité pour faire réapparaître le tirage. Ces allers-retours — les UV feraient à la fois apparaître puis disparaître l’image —, ces formules magiques que je ne comprends pas me déstabilisent. J’achète un vernis protecteur anti-UV, j’apprends qu’il s’agit d’un polluant éternel. Ce sera la part pérenne de tout ce travail ? Je nage au milieu de tous ces paradoxes, manipulant les images dans le parfum de solvant, me rappelant mes années d’études à Duperré. Je cherche à lier les images ; les fantômes sont de toute façon déjà là.

J’entre dans la cour de La Sorbonne pour la première fois, c’est beau et un peu impressionnant. Juste avant la tombée de la nuit, une lueur rose sur le flanc de la coupole. Trois personnes m’indiquent à tour de rôle la route à suivre pour rejoindre la salle de formation de la BIS, où je vais écouter Jane Sautière. Lecture d’un texte écrit pour la collection Le livre en question, à partir de Écrire de Duras, qu’elle présente comme sa lampe-tempête. De l’agonie de la mouche, de la mort de Duras elle-même, des recherches obsessionnelles, de l’heure de la mort de Marguerite, se représenter le moment, la luminosité, la pluie et le frais, elle écrit : « Oui, je crois vraiment qu’on peut mourir à cette heure-là, au moment où arrive un jour nouveau, une nouvelle lumière, une nouvelle réquisition à vivre et à ne pas abîmer un jour neuf alors que ce n’est plus possible. » La phrase m’éblouit quand je l’entends, au point que je l’ai réclamée à Jane pour pouvoir la retranscrire ici, puisque le texte ne paraîtra qu’à l’automne prochain. Je sors de la Sorbonne, j’active mes notifications. Pendant ce temps, la terre a tremblé à Nice.

À Saint-Maur où je rejoins Céline pour une séance de photographies. Je repasse devant la grille de la meulière que j’avais photographiée la dernière fois, qui semble abandonnée, avec les deux voitures immobilisées sous un voile de poussière dans le petit jardin, la chaîne lourde cadenassée qui condamne la grille. Les pins envahissent l’espace au-dessus du jardin dérobant la maison aux regards. Je pense au chapitre Le temps passe de Vers le phare, je me demande à quel moment on viendra déloger les fantômes de la meulière.

La lecture de Marine, je suis assise à côté d’elle, dans l’écoute de son texte. Sa lecture me donne à entendre toutes les résonances entre ses mots et mes images. Nous avons ensuite un échange, notamment sur ma pratique du cyanotype. C’est tellement nouveau que je sais à peine quoi en dire, mais je pressens l’importance des zones de flou et qu’il est encore là question de perte, de tâtonnements, de la quête d’un paysage d’enfance. Tout est un peu trop intense.

Journal du combat. Place Colonel Fabien, 22 mars 2025

Il marche large, les bras tournent dans l’air comme pour balayer le monde, son visage bruni des blessures de la rue, ses cheveux comme une gorgone blanche, il s’arrête devant une vitrine, il regarde, il s’approche, il se regarde, sa main agrippe son reflet, il penche la tête, tord la bouche pour sentir que son visage lui appartient encore.

Ça n’arrive presque jamais qu’il me précède dans la chambre et s’endorme. Je suis seule dans le salon et je lutte contre le sommeil pour faire durer cette solitude, je l’ai trop rarement vécue. Je me rappelle que ma mère, qui était un véritable animal social, qui recevait sans cesse, papotait, passait des heures au téléphone, nous avait déclaré qu’elle aspirait à une plus grande solitude, pourquoi pas une retraite en couvent. Nous, les enfants, avions ri, incrédules, mais aujourd’hui, je mesure cette nécessité de parfois s’absenter aux autres. Maintenant, j’entends la pluie.

corsica genealugia

Il faudra s’habituer à la chaleur. Revenir ici, arpenter la ville réveille une ardeur nouvelle. Un attachement qui se déploie entre les murs, dans l’air tiède, l’illusion de pouvoir traverser le temps. Revenir ici réveille l’envie d’élucider le mystère Jean-Joseph. Jean-Joseph, l’arrière grand père Italien dont nous ne possédons aucun portrait. Il naît à Bagnatica en 1856, devient veuf à trente ans, quitte la Lombardie pour s’établir en Corse où il rencontre Anne-Marie Straboni. Il l’épouse. Ils ont deux enfants. Il meurt assassiné sur un chantier. Son acte de décès est introuvable. Nous sommes à Bastia pour un bon moment, après une visite infructueuse à l’état civil, je décide de me rendre aux archives départementales, peut-être y trouverais-je une piste. Le bâtiment est sur les hauteurs de la ville, on rase les murs pour profiter de chaque miette d’ombre. La chaleur fait monter le parfum de l’asphalte mêlé à celui des figuiers. Avant d’entrer dans le bâtiment je te demande de ne pas te moquer, je ne me sens pas très crédible avec le peu d’informations que j’ai. On goûte la fraîcheur climatisée du bâtiment, l’élégance des cloisons mêlant bois et verre, on s’y verrait bien écrire. Le type de l’accueil est sympathique, combien d’apprentis généalogistes défilent par ici ? Je lui raconte ma petite histoire, insiste sur les éléments que je possède, les tables décennales scrutées sur la visionneuse, les actes retrouvés, la naissance des enfants, le mariage. Mais l’acte de décès introuvable, seulement une phrase prononcée par ma mère, il a été assassiné sur un chantier. Si vous n’avez pas de date précise… c’est un peu comme jouer au loto. La presse locale ? Là encore, si vous n’avez pas de date… Mais vous pouvez nous écrire, on ne sait jamais. J’imagine les agents se pencher à leurs heures perdues sur les requêtes d’anonymes en quête d’anonymes dont on a perdu la trace. Je vais vous donner quelques revues, vous ne serez pas venue pour rien, il disparaît dans un ascenseur où j’hésite un instant à le suivre, réapparaît avec un kilo de papier qu’il nous offre avec un grand sourire, ils ne doivent plus savoir que faire de leurs revues subventionnées.

La ville change, prend des couleurs hallucinantes. La chaleur complique le sommeil, et m’épuise. Mes morts sont furieusement présents. Ici je n’écris pas ce que j’avais pensé écrire.

Baignade à la petite plage de Ficaghjola au sud de la ville, c’est là que se baignait mon grand-père Louis. Présenté comme bon nageur — ça ce n’est pas une légende, il a reçu une médaille d’honneur pour s’être porté au secours de quatre personnes en danger de se noyer en mer. L’eau est presque trop chaude, et je n’oublie pas tout à fait les méduses. Au retour on voit de jeunes gens plonger depuis les rochers de la citadelle.

Le 15 août, la Cathédrale retentit de carillons et de chants. Il pleut, devant l’église ça hésite, est-ce que la vierge en argent n’est pas trop fragile pour supporter la pluie durant la procession ? À dix huit heures, malgré la pluie, une petite foule se masse devant et dans l’église, prières, chants, la procession aura lieu. Nous suivons le cortège, prenons des raccourcis pour pouvoir parfois le devancer. La petite vierge en argent paraît bomber le torse, ses bras écartés défient la pluie. Depuis le boulevard Auguste Gaudin, nous regardons la foule s’engouffrer rue Chanoine Letteron, ancienne rue Droite. Je filme le mouvement de la procession dans la ruelle, les quelques parapluies et les chants qui montent. Cette rue est celle où vivaient mes grands-parents et leur trois premiers enfants avant l’exil. Peut-être qu’un 15 août ils ont suivi le cortège, ou l’ont observé depuis leurs fenêtres. Le soir il y a un feu d’artifice, c’est le premier que je verrais ici, si j’oublie tous ceux filmés en super 8 par mon oncle il y a cinquante ans. C’est en tout cas la première fois que nous sommes si bien placés, du haut de la citadelle. À coté de moi, un père et sa fille qu’il a assise sur le mur d’enceinte, ses deux bras lui entourant la taille pour l’empêcher de tomber, il lui murmure que jamais il ne la laissera tomber, qu’elle doit lui promettre que JAMAIS elle ne marchera seule sur ce mur, qu’elle sait ce qui pourrait arriver. Je me demande quelle image elle se construit quand elle lui répond qu’elle pourrait se casser la tête.

Chez Ade avec Ugo, mauresque, canelloni et pastizzu — délicieux. Une nonchalance réconfortante.

La gare de Lupino déserte, la voie unique, le tunnel, ce moment rassurant où deux autres passagers nous rejoignent. Le train ne s’arrête pas à Barchetta, nous n’avions pas compris qu’il fallait demander l’arrêt. Le contrôleur se moque gentiment de nous, une micheline repart heureusement dans l’autre sens quand nous arrivons à Ponte Nuovu. Nous retrouvons mon frère, sa femme et son fils à Barchetta. Nous commentons l’ascension au village, la route plus large, plus douce, nous convoquons les anecdotes d’enfance, la conduite de Jacques, les nausées, les vertiges, les doigts pincés sur nos joues. À Campile nous commençons par visiter le cimetière, Philippe retrouve la tombe de Pauline. Des noms familiers gravés sur d’autres tombes. Nous revenons au cœur du village, quelque tables du café sont occupées, on se réjouit de voir qu’ici la vie reprend. Après une visite de l’église — une éternité que nous ne l’avions pas vue ouverte, nous nous installons au café. J’évoque l’article de presse où j’ai découvert les frises généalogiques des familles du village exposées à Campile récemment. À qui m’adresser pour en savoir plus, les chasseurs qui discutent derrière nous ? Je suis moins intimidée par les deux femmes d’une table voisine, sont-elles du village ? Elles sont d’Aix, originaires de Canaghia — le hameau de ma grand-mère, où elle reviennent depuis trois ans. Elles me conseillent de m’adresser à Dominique, un des chasseurs attablé derrière nous, lui il doit être au courant, n’ayez pas peur, il est gentil. Bien sûr Doumè et moi on s’est croisés il y a longtemps au village, je crois que ma voix tremble un peu au moment où je me présente, il me semblait bien répond-il poliment, m’adresse à son compère, lui il en sait plus. J’apprends l’existence de Corsica Genalugia, je devrais y trouver de l’aide. Nous faisons le tour de Campile, l’hôtel où j’ai dormi avec ma grand-mère, des maisons fermées que nous ne reconnaissons pas, puis nous descendons à Canaghia. Les cousins n’ont pas répondu au message que j’ai envoyé au moment de prendre la route, nous traversons le village comme des intrus. Le verger du grand-oncle absolument abandonné, on a le cœur soulevé par l’odeur des fruits qui fermentent au sol. Quel manque comblons-nous ici ? En rentrant à Bastia, je fouille le site de généalogie recommandé au village, je repère un groupe d’aide sur Facebook, demande où trouver l’acte de mariage de Louis et Pauline qui me permettrait peut-être d’avoir des précisions sur l’arrière grand-père. La réponse me parvient en quelques minutes, magique : l’association a dépouillé et reconstitué l’histoire des familles du village de Campile, ce mariage en fait partie. Carozzi Jean-Joseph est vivant au mariage de son fils et dit résidant à Bastia. Je calcule son âge, soixante-treize ans à la date du mariage, j’ai du mal à imaginer qu’il travaille encore sur un chantier à cet âge, la légende familiale vacille.
Les jours suivants je résiste à l’appel des archives numériques, le temps s’accélére brusquement.

Baignades, marches, cafés ritualisés. La fascination des façades délabrées, des ruines, le mouvement des arbres morts. L’obsession des fantômes de lessives. La lumière à travers les jalousies. L’ombre des aloès. Leur présence. Avant de partir je voudrais acheter le dernier livre d’Hélène Gaudy, malheureusement l’office a oublié la seule librairie de Bastia. Dans la navette qui nous conduit à l’aéroport, le chauffeur écoute une glaciologue évoquer la mémoire convenue dans les glaciers des pôles, le réchauffement climatique qui les menace, tout est lié.

une tasse fêlée

Nous partons dans le 17eme, une fresque aperçue sur les réseaux prétexte à cette marche. Ambiance un peu tendue, ciel menaçant, agacements, la terrasse, le déluge, le bus qui soulève des vagues, le froid.

Au comptoir de la boutique de réparation, il lui demande son nom, elle l’épelle comme s’il ne fallait pas le prononcer, ne pas en révéler l’origine, il tapote sur son clavier puis il le répète à haute voix, Eléonore Heftler ?

J’apprivoise le nouvel objectif, un peu déstabilisée, ma main toujours surprise de ne pouvoir actionner le zoom.

Avant de partir je lui laisse une note sur la table pour qu’elle pense à lancer une lessive, quarante degrés, éco. Je m’efforce de l’écrire lisiblement, je signe mum. Je pense aux notes cumulées depuis des années. Sans doute j’y pense parce c’est une des dernières que je lui laisserai, puisqu’elle va bientôt quitter la maison.

Entendre la faiblesse dans sa voix, mais ça va ? Pas trop non, mon ordinateur s’est éteint brusquement. L’inventaire des projets définitivement perdus, les décisions prises à la hâte qui amplifient la catastrophe, et toujours les mêmes mots, aviez-vous fait une sauvegarde ? Difficile de penser à autre chose, de ne pas avoir mal pour lui.

Elle entre dans la boutique, j’écoute distraitement sa voix aérienne, son mari lui a offert une tasse, vous voyez il y a une fêlure, mais je l’adore, est-ce possible de l’échanger ? Puis elle entre dans l’espace où nous exposons. Longue chevelure rousse, regard azur. Elle découvre ma safe place miniature, reste postée devant. .Je m’approche, on parle de la genèse du projet, de Virginia Woolf, du voyage anglais, d’Alice Liddell et des sœurs Brontë, ça va vite. Elle est très réceptive, se demande si on a ressenti leur présence, oui au cimetière. J’évoque surtout la chaleur, le trouble de la sensation d’été quand on imagine Charlotte et Emily perdues dans la brume. Me reviennent les paroles de N, accompagnant son père dans les camps où il a été déporté pour y tourner un documentaire, l’étonnement de réaliser qu’il avait pu vivre à cet endroit de belles journées ensoleillées. Mon interlocutrice aborde alors son voyage à venir, la Hongrie sur les traces d’aïeuls disparus, des artistes issus de l’aristocratie hongroise. L’appréhension des malles à ouvrir, les photographies, les œuvres. J’évoque les retrouvailles improbables avec ma tante, Comanche, elle me dit qu’elle écrit sur sa mère. L’émotion s’épaissit autour de nous. On convoque Hélène Gaudy, Anne-Marie Garat, on échange nos mails, je découvre son patronyme de roman. En partant elle prononce cette phrase magique, tout ça à cause d’une tasse fêlée.

Au café avec M-P — l’amie, la correctrice de Comanche, la fille d’Anne-Marie. J’évoque la rencontre de la veille avec Violaine. L’instant d’après je la vois qui longe le trottoir du bar où nous sommes installées, je frappe trop timidement sur la vitre pour l’interpeller, elle ne me voit pas, son regard bleu tendu dans la marche, je n’insiste pas, je préfère me souvenir de sa silhouette qui s’éloigne, fantomatique.

à partir d’elles

Au Bal, À partir delles, Des artistes et leur mère, je pense terriblement à ma mère, aux chantiers abandonnés, il faudrait retrouver une routine, la tension nécessaire pour au moins rouvrir les fichiers, regarder les films. Nous nous enfonçons un peu dans le 9ème arrondissement, nous nous réfugions (il pleut il fait froid) dans un restaurant Hongrois, présence fantôme d’Anne-Marie Garat, la connivence avec notre voisin de table au moment du dessert, le sentiment du manque en pensant à Nina.

C’est la deuxième fois que je rêve de Marion en quinze jours, je devrais prendre de ses nouvelles. Cette fois elle habite à Granville, je lui rends visite en quête d’une chose que j’ai déjà oubliée, je trouve une liste qui prouve je ne sais plus quoi, j’appelle mes parents pour leur dire la vérité, je rentre en prenant un bus, à mi-parcours, je réalise que je n’ai pas pris de billet.

L’enfant juché sur le muret pour pouvoir tripatouiller l’arbre, le métal de la rambarde s’enfonce dans son abdomen, je me demande s’il ne risque pas de tomber en contrebas sur le stade, combien de mètres ? trois peut-être… il n’y a pas d’adultes autour de lui, pauvre folle de penser des trucs pareil, je m’éloigne. Les jours suivants je suis rassurée de ne pas découvrir dans les journaux un titre évoquant la chute mortelle d’un enfant dans le 10ème arrondissement.

Elle m’envoie un texto, me demande si on a prévu quelque chose pour l’anniv de papa, je lui dis que non, qu’on fera avec elle, Tu arrives quand ? Bah je voulais faire une surprise. Nous gardons le secret.

Et les gens se plaignent de la pluie. Nous nous retrouvons une ou deux fois l’an, notre dialogue à trois est de plus en plus direct, essentiel, le lendemain je leur écris que nous quittons nos oripeaux de mères, nous n’avons presque pas parlé de nos enfants.

Quand même les scénaristes ont du bien rigoler en écrivant la scène de la princesse Anne sortant de sa caisse où elle écoute David Bowie, et de la faire entrer dans Buckingham Palace chantonnant Starman, La, la, la, la, la… La, la, la, la, la… La, la, la, la, la…

Starman, Alice Diaz
photogramme — heures indues

Avec Alice nous regardons notre journal vidéo, nous jouons aux devinettes. les plans sont suffisamment anciens pour que parfois nous nous demandions si nous en sommes bien les réalisatrices. La chambre niçoise de Nina apparaît à l’image, Alice s’extasie, c’est une chambre de princesse, sa chambre c’est Peau d’Âne en mode grunge. Le soir, l’arrivée surprise de Nina, la joie de Philippe.

quitter l’île et rêver (se)

Au moment de m’atteler au journal réaliser que je n’ai pas fait de photographies depuis notre retour, prolonger le voyage, au moins en images.

Quitter le balcon sur la mer, rejoindre Bastia, parcourir la ville du nord au sud, de la rue Droite aux hauteurs du boulevard Graziani, on a mangé des migliaciolli face à la mer, au fil de la journée le bleu a pris la place, justifiant le rituel goûter de glace noisette chez Raugi. En montant sur le Vizzavona, satisfaction d’un beau soleil, je fais une dernière photographie — la citadelle, avec le Yashica. On voit se projeter sur le pont inférieur des ombres mouvantes qui ne sont pas les nôtres, j’ai pensé que c’était mes fantômes qui m’accompagnaient au moment de quitter l’île, puis nous découvrons la terrasse dont nous n’avions pas vu l’accès. On longe le cap, on essaie de repérer la maison d’Erbalunga, la lumière est loin d’être idéale pour filmer, photographier. Un peu assommés par le soleil on se réfugie un temps dans la cabine. Quand nous nous décidons à ressortir, nous sommes au bout du cap sous averses, je photographie compulsivement les monts, les nuages, les lumières d’orages.

Marseille. Aurore flamboyante derrière la ville depuis le pont, quelques heures à tuer, petit déjeuner au comptoir Dugommier, passage devant l’entrée du Lycée Thiers, café cours Julien, oublier la violence du type avec regrets de ne pas l’avoir douché d’un verre d’eau, la Plaine, Longchamp, depuis le train apercevoir les fenêtres ouvertes de La Marelle.

Une de ses scènes préférées, c’est le mot qu’elle emploi, scène, c’est celle de Roland dans la voiture, avant qu’il ne quitte Monique. Ce qui me touche c’est que cette scène je l’ai complètement imaginée, elle est pure invention, il y avait seulement cette photographie, porteuse de sa propre fiction, mais aussi nourrie de toutes ces autres fictions qui m’ont traversées, surtout des scènes de film.

Ce que je découvre de sa vie, je devrais dire ses combats, me bouleverse, je lui demande si je peux, nous nous étreignons, nous ne devrions jamais renoncer à nos besoins de tendresse.

Le terrible blues de la reprise cède à un semblant d’élan retrouvé. Chercher de nouvelles manières de faire, les mettre en œuvre, s’y coller vraiment.

J’avais oublié mon jeu préféré pour le voyage, j’étais de toute façon trop chargée, chaque samedi c’est le rituel qui clôt la semaine que je déroule dans le journal. Reverse, je ne pouvais pas rêver plus étrange perspective pour revenir à l’écriture.

ici les morts

nous marchions sur la brèche d’un monde tremblant. autour les corps pliaient leurs craintes sous le désordre du ciel, avançaient comme nous dans la rumeur d’une défaite, se demandaient qu’avons-nous fait. étaient désœuvrés. il fallait tisser des liens nouveaux.
ce n’était pas la superbe attendue, il manquait la lumière. c’était la mélancolie des corps flottants devant les fenêtres. ces images qui te hantaient depuis novembre, des pensées suspendues, des rues abandonnées qui descendaient vers les rives, c’était de la ville ce que tu retenais. rien ne te liait au fleuve mais tu n’étais pas là par hasard. il fallait se perdre dans la ville usée. il fallait faire corps avec sa fragilité. ses vacillements. ses fenêtres brisées. ses portes ouvertes vers la terre. on avait frotté les linges poing contre poing, la toile tendue. on avait lavé les épanchements secrets, on avait vrillé le coton. la mémoire de notre enfance enfouie dans les plis surgirait, ça sonnerait comme un retour aux sources. nous ne pouvions plus marcher sans penser à elles, leurs peaux absentes, leurs bras forts leurs bras blancs leurs bras tendres leur bras ronds qui se battent avec le vide, suspendent le chagrin aux fenêtres. parfois elles avaient des remords, elles ravalaient les fantômes, les ramassaient dans l’obscurité, mais lentement, pour ne pas effrayer les autres. au fond des lavoirs on noyait les souvenirs, les lamentations. on les embaumait de feuilles mortes.
maintenant, dans le désordre des reflets nous devinons des sourires, nous sourions à notre tour. ici les morts s’obstinent, ne nous oublient pas.

musique Stewen Corvez

nos plans sur la comète

Froid mordant qu’on n’attendait plus, j’ai une pensée pour les fleurs imprudentes. Au parc Montsouris, les mains frileuses, le Yashica trop lourd, je peine à prendre des photos. Les yeux aux ciel, premier quartier de lune.

Je prends mes billets pour Nice, Nina me dit la joie que ça lui fait, nous faisons chacune nos plans sur la comète, des marches sur le mont Boron, des cafés sur la plage, l’exploration de la Villa et le musée Matisse, empêchés la première fois, peut-être même découvrir le reflet de la Corse dans les basses couches d’air.

Une médium s’abonne à mon compte Instagram, elle se définit comme messagère spirituelle, vit au Québec. Peut-être que je parle un peu trop de mes fantômes. Insomnie. Sous le drap chercher son contact, sans le réveiller, cheville contre cheville, trouver l’apaisement dans ce peau à peau.

+4 degrés, et ce scénario ne serait pas le plus pessimiste. Sur le net découvrir un article, Pour refroidir la Terre, faut-il de la poussière de Lune ? Je ne lis pas la suite, la poésie du titre me suffit, même si ça ne lutte pas contre l’incertitude, se recroqueviller.

Sa main attrape mon col pour rapprocher nos visages, on dit à vélo. Ça me fait rire, et sa délicatesse de ne pas exposer la faute à tous me touche. Comment on en arrive à parler des tiroirs vides après la mort de ma mère, je ne sais plus, mais elle se souvient d’une grande jupe noire à fleurs que Pierrot lui avait léguée, tiens si je la retrouve dans mon déménagement je te la donnerais.

Nous avons diné près du poêle, il y avait des reflets rouges sur le canal. Depuis l’autre rive le quai était comme une scène étroite traversée par les joggeurs et des cyclistes. Je fais un plan, en pensant aux rushes qui s’accumulent sur la carte SD, et dont je ne fais rien.

R m’envoie les premières pistes pour la couverture de Comanche. Heureuse de l’évidence de la photographie que j’ai choisie. C’est bien la seule chose sur laquelle je n’ai jamais eu de doute, cette photo — sa beauté et son mystère—, ce sera la couverture. Plusieurs fois dans la journée je vais ouvrir le fichier et c’est une joie immense.