c’est le vide qui nous lie au dehors

tu marches dans la ville immobile
dans le vide
dans tes jambes la puissance et la faiblesse se battent
maintenant c’est le vide qui dessine la ville
c’est le vide qui nous lie au dehors
l’air est vide aussi
le temps long qu’on dirait le temps d’août
le temps clair et froid de mars
la torpeur suspendue d’une rive à l’autre
et le silence qui efface tes mouvements
tu te surprends en apnée au frottement de l’autre
pourtant le silence

                 

                 

texte écrit dans le cadre de l’atelier d’écriture proposé par Myriades, le blog des bibliothécaire de Strasbourg (merci à Franck Queyraud pour son invitation).

ciel dégagé temps calme

Ciel dégagé temps calme, c’était la météo du jour à Oran, le 7 février 1972. Aujourd’hui au cimetière parisien d’Ivry froid sec sous ciel bleu. J’installe peut être un rituel, Alice m’accompagne, me guide même, elle se dirige sans hésiter vers ta tombe, elle est venue plusieurs fois depuis notre première visite l’été dernier, j’aime cet endroit dit-elle. Je découvre les arbres nus tels qu’ils devaient se dresser le jour de ton enterrement. Je sens le froid aussi tel qu’il devait faire trembler Pierrot. Je suis venue tôt, pour ne pas trop grignoter la journée de travail, trop tôt pour que le soleil caché derrière un cyprès réchauffe le granit poli de ta pierre tombale. Seuls les reflets des marronniers nus animent la pierre, le cimetière est désert, même les oiseaux font silence. Nous avons voulu attendre le mouvement du soleil, et puis renoncement. Nous buvons un café serré à la sortie du cimetière, je crois que le patron est kabyle, je ne peux pas m’empêcher d’y voir un signe. Nous nous séparons avec Alice, je souris, qui dans la rue, dans les couloirs de correspondance, pour deviner cette présence nouvelle que je chéris.

exode

journal de mon arrière-grand-père Charles Berthelot, du 28 mai au 12 juin 1940

Quand les propositions d’écriture de François Bon arrivent dans ma boite mail, il y a toujours ce frisson, à la fois de la découverte, et de ce que ça déclenche, l’autorisation à écrire. Parfois je raccroche la contrainte d’écriture aux sujets en cours – peut être que cet emploi du pluriel est abusif, est-ce que la famille, la filiation, le deuil ne sont pas pour moi un seul et même sujet ? Ce lundi c’est personnages dans une foule, et la première image qui a surgit c’est cette archive incroyable confiée par ma tante il y a quelques mois, un cahier de notes personnelles entamé par mon arrière-grand-père au moment de l’exode, sans doute écrasé d’une grande détresse à voir la famille se disperser sur les routes, lui même trop fatigué et peut-être effrayé d’abandonner sa boutique de couleurs de la rue Ordener. La tentation est grande alors d’écrire l’exode, et puis dans le même temps je me trouve malhonnête, avec l’impression d’usurper ce vécu et de céder à une grande paresse. Je crois avoir trouvé ailleurs ma foule, son territoire, et je garde intact mon éblouissement à la lecture du précieux journal de mon arrière-grand-père.

un héros très discret

Cet hiver je retrouve avec un plaisir intense l’atelier d’écriture proposé par François Bon. Le thème — vies, visages, situations, personnages — me semble pensé tout exprès pour moi, et me permet de replonger sans retenue dans la quête généalogique entamée à l’été 2018, juste avant les retrouvailles miraculeuses qui m’ont précipitée dans les bras de mon père (le travail en cours, en pause). Cet été là j’avais fais ressurgir ce(s) visage(s), j’avais longuement hésité avant de conclure que oui il s’agissait bien du même homme, mon grand-oncle Antoine, et je m’étais interrogée sur le temps qui séparait les deux portraits. Ils sont extraits de deux photos de mariages, et c’est la rondeur de ma grand-mère sur la première puis la présence de ma mère toute petite fille sur la deuxième qui m’indiquent deux ans et quelques de temps écoulé entre les deux clichés. Au delà de ce temps écoulé, l’éclairage différent, une moustache effacée et des kilos perdus — ce qui lui donne un air plus juvénile — le sourire a disparu, le regard s’est assombrit, mais l’implantation des cheveux et des sourcils, la forme du nez et de la bouche sont bien les mêmes. Il y a autre chose, comme un bouleversement intérieur qui transforme profondément son visage, qui transparaît à travers ce regard si différent, empreint de gravité, comme si Antoine savait déjà la destinée tragique qui serait la sienne. 

nous finissons par rire

Pluie, je devrais dire seaux d’eau, et vent, marche le long du canal Saint-Martin. Je décide de faire du stop pour me mettre à l’abri, échanges joyeux avec la jeune conductrice qui me dépose à deux pas de l’atelier. Le soir conversation par messagerie avec ma fratrie, autour d’une sépulture, décidément mes morts cette année… ça tourne à l’absurde, je crois que nous finissons par rire, chacun derrière l’écran. Et trouble profond, ce sujet qui tombe au moment  où je livre à un regard extérieur le travail mené depuis un an. Si difficile de lâcher l’affaire, je pourrais ne jamais finir, il y aurait toujours un mot à déplacer, une phrase à retoucher. Je pourrais ne jamais me résigner, l’oubli ne me serait d’aucun secours, je pourrais caresser doucement son absence, la réveiller un peu chaque jour, lui rendre l’éclat de son regard, le poli de ses mains fines, le mystère de sa voix.

un jour ordinaire

27 septembre 2019, 0h00. Un nouveau jour commence, je vais me coucher. J’ai attendu minuit pour pouvoir écrire cette phrase. J’ai prolongé l’entre-deux jours à l’écoute du clapotis de la pluie derrière les volets en PVC. Le réveil à sept heures et demi me sort d’un mauvais rêve — ma mère part en voyage en train pour un ailleurs, elle doit me livrer quelque chose avant son départ, je cours sur le quai en essayant de la rejoindre alors que le train avance, je veux attraper l’objet empaqueté qu’elle me tend depuis la fenêtre à demi ouverte, ses yeux sont perdus dans le vide, je voudrais oublier ce dernier regard, oublier son esprit ailleurs. Je m’extrais lentement du lit, alourdie du manque de sommeil, et de l’apparition de ma mère disparue. J’apprécie le silence du salon, l’absence des filles, le sommeil de Philippe, ce moment rare de solitude alors que le jour gris et mou paraît. Je trouve un sens à mon rêve, je le note, ça me donne envie d’écrire, mais j’enchaîne les rituels du matin, la douche, l’eau à bouillir, le thé, la contention sur la cheville, je ne peux me soustraire aux contraintes de ce jour, je m’oblige, l’écriture ce sera pour le métro, pour la salle d’attente du comptable, pour les vides minuscules de la journée, pour ce soir avant minuit. Métro aérien, entre Stalingrad et Courcelles je me dis que septembre fatigue, peut être que c’est la ville, que c’est le monde, que c’est la terre elle même, l’addition sauvage d’incendies, de noyades, de degrés celsius, de femmes mortes sous les coups de leurs maris, d’arbres déracinés, de gestes inouïs, d’effrois, de plastiques, de phrases honteuses, d’anti-IVG, de lassitude, septembre fatigue. Je sors, l’air est très doux, la journée sera hantée par les mêmes questionnements sur l’écriture en cours, encore. J’achète Libération, juste pour la photo, je me fous de l’histoire, du bonhomme rien à dire, je voulais même pas l’acheter le Libé, juste prendre la une en photo, mais il était planqué, j’ai demandé à la marchande de journaux du kiosque à Courcelles, elle l’a sortit de derrière les fagots, je me suis sentie obligée de le prendre, et puis cette quatrième de couverture qui me touche, cette main vieille en au revoir, je ne verrais jamais les mains vieilles de mes parents, aucun d’eux n’a prit le temps de me dire au revoir. Je me concentre sur l’instant, j’aspire une bouffée de l’air mou et gris, mes fantômes m’accompagnent, ce sera un jour ordinaire.