la mémoire des lieux

La rue Saint-Lazare est légèrement courbe, qui dérobe longtemps au regard l’église de la Trinité. Son clocher comme une apparition. Puis nous montons vers Montmartre, empruntant les tours et détours indiqués par le guide pour découvrir quelques architectures remarquables. Je ne peux m’empêcher de souligner la beauté d’une place, où je ne me souviens pas être venue. Tu me rappelles que je l’ai même photographiée, que j’avais envoyé la photographie à N. Je n’ai pas la mémoire des lieux, à moins de les avoir arpentés vingt fois. Maintenant nous traversons le cimetière Saint-Vincent, un homme fait ployer une branche pour cueillir une figue, au pied d’une tombe une femme ramasse quelques petits cailloux. Je n’avais jamais envisagé le cimetière comme un lieu de ressources, même si je photographie parfois les médaillons où apparaissent les visages des défunts.

Joyeux bavardage avec N au Valmy, l’écriture, le départ des enfants, l’espace qui se libère, la fuite du temps. La tablée voisine, trop bruyante, finit par nous chasser. Dehors la bruine.

Elle m’appelle depuis le bus bloqué aux Lilas, elle sera en retard. Je réalise que je suis partie les mains dans les poches, sans même une feuille pour prendre des notes. Je l’attends devant l’Express de Paris, je ne veux pas prendre l’initiative de m’asseoir en terrasse, il fait froid. De l’autre côté du boulevard de Belleville l’enseigne rouge d’une agence, Oran voyages. Je n’ai pas eu le temps de la voir s’approcher de moi, elle est lumineuse, connait évidemment le patron, me présente comme une amie alors que nous venons de nous rencontrer. Nous parlons vite, quand nous nous quittons, je m’aperçois que nous n’avons même pas parlé de Zéralda.

L’inédit d’une journée de travail à la maison et d’un déjeuner avec Philippe derrière le MK2. Notre vie à deux.

Recroiser le Orly de Joachim Séné. Je me souviens de la fascination exercée quand il l’a lancé, j’étais plongée dans l’écriture de Comanche. Orly et La Jetée. Orly où je prends chaque année l’avion qui me conduit à Erbalunga. Orly où mes parents ont pris l’avion avant moi, puis avec moi. Orly où nous sommes arrivés en rentrant d’Algérie en 1972. Orly désert après le premier confinement. Orly le dimanche et les autres jours. Orly où j’imagine que mon frère est venu observer les avions le dimanche — cet été il m’a raconté que lorsque nous sommes arrivés en Corse dans les années quatre-vingt il lui arrivait de prendre la navette qui relie Bastia à l’aéroport pour observer les avions décoller depuis Poretta.

Dans les carnets de François Bon, le nom Cotignac qui fait ressurgir un souvenir d’enfance. J’avais treize ans, j’habitais alors à Marseille, j’étais invitée à passer un dimanche au cabanon que possédaient les parents de mon amie Cécile sur les hauteurs du village. Je n’ai aucun souvenir des lieux, mais je revois précisement leurs visages, du père, de la mère, des deux enfants. L’inquiétude d’être malade en voiture, la chaleur sèche, le sentiment d’étrangeté au milieu de cette famille si différente de la mienne, leur silence austère, le serpent croisé sur un chemin. Mon malaise grandissant c’était de deviner la peur qui habitait les enfants. D’y penser je revois tous les visages de ces adolescentes cotoyées aux collège, dont je croyais deviner la peur, instinct que j’avais fini par ranger comme fantasme, les chiffres qu’on connait désormais me font mesurer combien cette peur était réelle.

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caroline diaz

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