Paignton, désolation

Dans le train pour Exeter une mère et sa fille nous font face, la fille doit avoir mon âge. La mère inquiète pose trop de questions à la fille qui la réduit au silence à coup de Je ne sais pas, Ça ne change rien de savoir, Quelle importance ça a. La vieille se résigne, son beau visage se ferme, j’y retrouve l’expression de ma tante chérie, une même acuité du regard. Trop excitées pour lire ou écrire, nous jouons au pendu en piochant des mots dans Les Vagues. Changement à Exeter pour la Riviera Line, dans le compartiment cinq jeunes hommes aux voix fortes, leurs discussions animées dont ne saisissons que quelques bribes, leurs physionomies et leurs allures résolument différentes nous interrogent sur ce qui les relie, nous n’aurons pas de réponse.

Je ne me souviens plus comment on a atterri à Paignton, la ville était probablement indiquée comme point de départ idéal pour l’accès à Greenway en transports en communs. En parcourant les quelques centaines de mètres qui séparent la gare du B&B on devine la désolation. Nous posons nos valises dans la chambre mansardée et filons arpenter le bord de mer — en relisant cette phrase je pense aux aventures d’Alice Roy dévorées entre 10 et 12 ans, mais je ne saurais l’écrire autrement. Le ciel est un peu couvert, le sable est rouge qui colore étrangement les vagues s’échouant sur la plage. J’avais oublié l’existence des memorial benches, les plaques gravées et leurs messages tendres me donnent des envies de détournement. Devant les cabines de plage aux portes colorées on voit des familles pique-niquer d’aliments sous vide, ou des couples de vieilles amies savourer un thé — où l’on découvre que même les cabines de plage sont équipées de l’indispensable bouilloire, comme dans toutes les chambres d’hôtel et autres bed and breakfast du pays.

On dîne d’un fish and chips trop copieux, on retourne vers le pier. Je me raccroche à l’esthétique désuète du lieu pour faire quelques photographies. Du bout de la jetée on observe la côte, on repère des façades colorées, il n’y a que ça qui attire l’oeil, il faudrait aller voir de plus près. Le jour baisse, on rebrousse chemin, frayant entre les familles qui déambulent hagardes entre les jeux trop bruyants et les odeurs de beignets. Un goéland se jette sur le cornet de glace d’un pauvre type qui se met à jurer, c’est la deuxième attaque du genre à laquelle nous assistons depuis notre arrivée.

On se rapproche de la fête foraine de l’autre côté de la route qui longe la mer, on avance au milieu des manèges à sensations qui nous donnent la nausée, parfois ils tournent presque à vide, ça file un cafard monstre. J’avais totalement occulté la réalité sociale du pays, je n’avais pas imaginé la tristesse des stations balnéaires de la Riviera anglaise — enfin de Paignton, les autres on n’aura pas le temps de les découvrir. Le lendemain soir au retour de Greenway le ciel sera radieux mais ça ne changera rien.

Publié par

caroline diaz

https://lesheurescreuses.net/

4 réflexions au sujet de “Paignton, désolation”

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