
Je fais de la place sur l’IPad où s’entassent les rush, de vieilles photos. Devant la photo de la carriole verte toujours la même hésitation. Je ne sais pas pourquoi je l’avais photographiée durant l’été 2017, peut être pour sa patine verte, ou la mention av. de la plage peinte sur le rebord. Elle était la plupart du temps accrochée derrière le vélo de Sandrine L, elle y transportait les enfants et leurs jouets. J’ai appris l’année suivante qu’elle s’était tuée accidentellement en ULM. Je garde cette photographie peut-être pour ne pas oublier le sourire de Sandrine.

En quittant l’atelier je vois passer les avions qui répètent leur passage du 14 juillet. Ils volent très bas, dans le faubourg les visages se tendent vers le ciel, parfois inquiets. Un engin qui me parait immense passe au dessus de la colonne de la Bastille, vraiment l’illusion que ses ailes vont l’arracher l’ange, je suis en vélo, je regrette la paresse qui m’empêche de sortir mon appareil photo. Arrivée à destination, alertée par le bruit des moteurs, je photographie deux Atlas.


Nous nous enfonçons dans le 12ème, passons par l’avenue de Corbera déserte, les deux boutiques au pied de l’immeuble sont fermées, personne pour ouvrir la porte lourde, nous attendons. Il faudrait revenir un jour avec du temps, je pourrais rencontrer quelqu’un qui me permettrait d’entrer dans l’immeuble. En rentrant, je découvre via les pages blanches le nom des habitants du 14, j’imagine des visages derrière chaque prénom, j’oserai peut-être les contacter.
L’émotion à la terrasse du bar du Bataclan, je ne me souviens pas y être déjà venue, même quand nous habitions le quartier. Une femme s’installe derrière Philippe, avec probablement son petit fils, elle porte une robe longue imprimée de fleurs géantes très colorées qui me rappelle une robe portée par ma mère. Elle voudrait boire une bière, ne sait pas choisir, le barman lui propose de goûter celles qu’il sert à la pression, revient avec trois verres à peine remplis, la femme y trempe ses lèvres, semble encore plus désemparée.

Depuis la terrasse de Sèvres nous pouvons voir les feux d’artifices autour de la vile, nous faisons des hypothèses, Antony, Villeneuve Saint-Georges, Montreuil, Romainville, Les Lilas. La tour Eiffel ôte ses paillettes, le feu parisien commence, des petits cris de surprise, la lune s’accroche à l’horizon, énorme et rousse, le vent s’est levé. Les amis de nos hôtes nous raccompagnent, mauvaise idée de passer par Paris centre, les rues grouillent de monde, le quartier autour du Trocadéro bouclé très largement, agacement, klaxons intempestifs, camions de police, flotte de voltigeurs, feux, freins, on finit par s’échapper par la rue de Vaugirard, en descendant de la voiture j’avale de grandes bouffées d’air pour dissiper la nausée.

En retouchant les photos prises pour Francis, je redécouvre les matières, les visages cachés, le velouté du noir, je me souviens m’être dit pendant la prise de vue combien ce temps d’observation pour choisir des détails était riche d’aprentissage, ça me donne envie d’approcher autrement la gravure à la rentrée, d’explorer davantage la matière.
Je suis allée changer un peu d’argent pour le voyage, j’ai acheté une nouvelle valise. J’essaie de lire, d’écrire, me disperse, laisse filer le temps que je réclame sans cesse. Je ne supporte plus l’embrasement, l’effroi, le flot de commentaires d’une actualité toujours plus brûlante. Philippe rentre pour déjeuner, je partage mon désarroi, il s’interroge, il me réconforte, il finit par me dire que ce n’est pas interdit, que nous avons aussi le droit d’être heureux.

Très ému par cette entrée de ton journal, son écho involontaire dans ma semaine. « nous avons aussi le droit d’être heureux », c’est exactement ça. Merci Caroline.
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merci cher Xavier, ils comptent tant ces échos
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OUI on a le droit (pas le devoir mais le droit OUI ) d »‘être heureux
et oui c’est merveilleux ces gravures
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Pour moi aussi les derniers mots de ton journal ont une importance particulière. Il faut aussi s’autoriser à les prononcer. Ou à les écrire. Ce n’est pas facile après avoir entendu, enfant, une mère dire qu’elle ne pourrait jamais être heureuse sachant les autres malheureux. Après on y travaille avec plus ou moins de réussite :). Merci Caroline.
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merci à toi Pascale
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