
Je suis très curieuse de l’intérieur des autres, d’y découvrir leurs objets accumulés, les histoires qu’ils portent ou que je leur invente, j’espère toujours une révélation, une rencontre avec ma propre histoire, une pochette de disque ou un livre aimé feront l’affaire. En entrant chez C et D je suis particulièrement gâtée, un cliché immense de D recouvre un mur, ouvrant l’espace vers un village russe, des icônes religieuses chinées aux puces, un portrait de femme en peinture, un buste en plâtre coloré, des photographies de famille, d’artistes, je m’accorde l’autorisation de faire quelques photos en débordant légèrement du cadre du making off, C prend même le temps de me présenter les personnes en présence sur les étagères. Sur une enfilade il y a ce globe un peu ancien, ses couleurs jaunies, l’objet me fascine, je n’en ai jamais eu — me dis que si j’en avais eu un je traînerais sans doute moins de lacunes en géographie. De la main je donne une légère impulsion pour le faire tourner sur son axe, je suis surprise par la douceur de l’objet sous mes doigts, et surgit le signe que je guettais, la silhouette du Japon, je souris, même si ça réveille une envie sourde de voyage. Alors que je cadre le globe en approchant dangereusement l’objectif, remonte le souvenir d’un de mes atterrissages à Osaka, où après avoir traversé la couche de nuages j’avais découvert les contours de l’île d’une netteté impressionnante dans la mer, une vision presque irréelle, comme surgie d’un rêve. Je cherche un angle de vue, retrouve cette sensation de plongée clouée au siège de l’Airbus, et l’excitation qui l’accompagne, je déclenche. Je redécouvre le globe ce matin, en triant les photos oubliées sur la carte SD de mon appareil, et dans le premier IPhone dont je n’utilise plus que l’application notes pour écrire je retrouve l’image de 2015, la traversée des nuages et la côte de Honshū dans le bleu pacifique. J’accepte joyeusement le signe, ce sera le prochain grand voyage, le Japon — comme me manquent son mystère, ses aubes précoces, la voix du Shinkansen, la vapeur des ramen, les passages de chat, les cimetières sans murs, les dormeurs de la Hankyu, le temps long, cet ailleurs où je suis autre.

Magnifique texte. Cela m’a emporté, aussi, au Japon, et a réveillé l’envie d’y retourner. Les pouvoirs d’une mappemonde allié à celui des mots…
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