l’écritoire (ou le maroquin)

Un jour Pierrot me donne un nécessaire à correspondance en cuir rouge sombre patiné par le temps, doublé d’une moire carminée épaisse et changeante, c’est un cadeau que tu lui as fait, elle me l’a légué quand elle a su mon amour pour les lettres, j’avais treize ou quatorze ans. Je l’appelais maroquin, j’aime ce mot d’un autre temps, d’un autre pays, ça convoque d’autres paysages, d’autres soleils levants, des années légères et dorées. J’ai toujours été fascinée par cet objet, sa simplicité luxueuse, je me souviens comme j’ai glissé avec fierté dans la petite bague en cuir fin prévue à cet effet mon premier stylo plume Waterman en métal argenté mat, et à droite le petit bloc de papier à lettres A5, dont j’aimais tellement le grain, le dos carré collé, la feuille lignée de noir que je glisse entre deux pages blanches ni vu ni connu, oh la belle écriture que je force à pencher vers la droite — cette inclinaison c’est comme donner du poids à ce que j’écris. Dans les plis j’ai trouvé un trésor, quelques mots de toi à Pierrot, Mon petit chat… Votre intimité révélée sur une carte en bristol, j’ai oublié tes mots, je me souviens que tu lui demandais pardon. Le rouge s’est répandu partout, il est monté sur mon front, sur mes joues, mes joues empourprées comme la peau du maroquin, comme un feu dans mes mains et ma poitrine, mon trouble de vous avoir surpris dans un moment d’intimité où je n’avais pas ma place. Maintenant je comprends que mon attachement à cet objet c’est ce don de toi à elle, j’enrage d’avoir égarée cette note, c’est de ça que je rougis désormais. Cette écritoire, c’est du temps de votre vie commune le seul objet que je possède, c’est un parfum de peau, de cuir, de tabac blond, de papier d’Arménie. C’est du temps vivant, c’est bien plus qu’une trace, c’est une preuve, c’est l’air tiède d’Alger, le ciel rouge autour enluminé du couchant, le vent chaud du désert. Cette écritoire c’est une faute, un pardon, un serment. Cœur battant, mains fébriles je déplie le maroquin. Alors monte l’odeur de la peau. Le chagrin. D’un petit compartiment dépasse une carte en bristol, Ma vue se trouble, je vois danser l’encre noire, ton écriture ample et vive.

Mon petit chat,

Je ne supporte pas le chagrin que je t’ai fait. Je voudrais tant que tu me pardonnes, quel idiot je suis.

Je t’aime,

Ro 

Publié par

caroline diaz

https://lesheurescreuses.net/

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