sous nos pas

Depuis les rencontres Littérature & YouTube d’Evry, il y avait une grande envie de poursuivre sur un mode collaboratif, merci à Pierre Ménard d’avoir proposé de reprendre le principe des #vasescommunicants :
tous les mois, faire échange de vidéo. S’emparer des images et de la bande son, entrer en dialogue avec, sans nécessairement modifier le montage de la vidéo mais en ajoutant selon ses préférences (voix off, texte lu, improvisé, écrit sur l’image, ajout de sons, de musique), puis envoyer sa propre vidéo à son correspondant pour qu’il s’en empare à son tour. Le premier vendredi du mois, chacun diffuse le mixage/montage qu’il a réalisé sur la vidéo de l’autre et découvre à son tour son montage mixé sur la chaîne YouTube de son invité.

Pour cette première participation, j’ai fait un échange avec Juliette Cortese. Très surprenant de filmer en pensant à elle, très intimidant de découvrir ses images, j’aime comme mon écriture s’est déplacée, ma lecture aussi. Comme Juliette s’est emparée de mes images, comme elle a su voir la neige dans les traces de peinture, aujourd’hui c’était un peu Noël.

sous nos pas (images Juliette Cortese/texte et voix Caroline Diaz)


Sous nos pas les sols tremblaient, ça donnait envie de parler aux pierres, de les rassurer mais on ne trouvait pas les mots — la seule phrase qui venait c’était Il faudrait sauver les oiseaux — sous nos pas les sols glissaient les pavés s’affrontaient en danses joyeuses — sous nos pas le monde se dépliait c’était la magie des kaléidoscopes l’œil collé à l’optique les mirages colorés — les paysages à l’infini s’ouvraient — on jouait à la marelle, à cloche pied sautiller dans les cases jusqu’à ciel — le rejoindre — sous nos pas le monde immense à pas de fourmi, le talon devant la pointe les bras soulevés comme des ailes, suivre les bordures les lignes étroites les lignes de fuite arpenter funambule la douceur grise des pavés — les sols dérobés — le vertige — flotter — la pulsation du monde remontait dans la poitrine — les rues se vidaient ça donnait envie de crier de courir de traverser les ombres mouvantes, celles des arbres celles des corps allongés au soleil descendant — se rappeler la consolation des mirages, les arc en ciels d’après la pluie, les portes vers les mondes dessous la terre — maintenant que le sol respire tu y penses, il y a trop longtemps que tu ne regardes plus dessous la terre, il y a trop longtemps que tu fermes les yeux — il faudrait refaire le chemin pour attraper les éclats de ciel dans les flaques, pour écouter les rivières, le bruit du monde à l’envers, la parole des fantômes au delà des miroirs, pour écouter les gouttes bondissantes, la joie en surface, la joie des pieds dans les flaques — le sol ondoyait, hypnotique, les égouts avalaient la pluie grasse, le soir tombait — sur l’asphalte les phares les illuminations la lune caressante — la rue comme un grand ciel de nuit — une morsure — le noir et toujours le monde palpitait, la ville n’en finissait pas de se déplier, on pourrait marcher des jours la ville nous porterait encore — sous nos pas le sol déchiré ses pansements de goudron les hachures les coulures les traînées les taches les défauts de mortier — sous nos pas les pavés les fissures les racines les mauvaises herbes les feuilles flétries les empreintes les autorisations les interdictions les addictions — sous nos pas la rue la grande rue les corps abimés les corps cachés les corps repliés dans les angles les mains froissées — sous nos pas les abandons les mégots l’indifférence la fatigue les frottements les désordres les effondrements — sous nos pas les sols tremblaient, ça donnait envie de parler aux pierres de les rassurer mais on ne trouvait pas les mots — la seule phrase qui venait c’était Il faudrait sauver les oiseaux

L’amant de sable (images Caroline Diaz / texte et voix Juliette Cortese)