aujourd’hui tout est calme

À l’heure du journal je suis à Lasne, là où j’ai retrouvé la sœur de mon père il y a cinq ans. La fonction souvenir de Facebook n’a pas manqué de me le rappeler, faisant ressurgir cette semaine les premières publications avec les photos de mon père. L’histoire réinventée, assimilée, l’amour tissé, quelque chose entre le pardon et la douceur, s’étonner comme aujourd’hui tout est calme. De la semaine ne retenir que la terrasse de l’East Bunker où Slimane va me rejoindre. Je n’aime pas être la première à un rendez-vous, devoir choisir entre l’ombre et le soleil. Je pense à notre première rencontre, ma fébrilité, ma confusion, aux photos que Slimane a apportées, qui se recourbent sous une trop grande lumière. Plusieurs années se sont écoulées, pourtant l’impression que c’était hier. Je le reconnais cette fois sans aucune hésitation. Alors comment tu vas ? Nous parlons de l’Algérie, de la possibilité d’un voyage, il faut aller à Djanet. Il me répète quelques trucs sur mon père, les costumes clair, la rigueur et l’humour, il aurait vécu longtemps s’il n’y avait pas eu l’accident, parce qu’il était cool, détendu. Il regrette de n’avoir pas trouvé le rapport sur l’accident. Je lui tends Comanche, il aime bien le titre, c’était son avion préféré, il était pas fait pour la voltige, mais ton père il en faisait ce qu’il veut. Il prévoit quelques rencontres, auxquelles je pourrais me joindre, j’acquiesce, mais je sais que j’en ai fini avec l’enquête, si je devais avoir de nouvelles révélations ce serait par hasard. C’est un moment normal, presque joyeux, débarrassé de la fatigue et de la fragilité qui m’écrasaient au moment où je l’ai rencontré pour la première fois. Je suis à Lasne, et ma cousine Dodo me demande si, quand même, je ne voudrais pas rouvrir une boîte de photographies.

une plage déserte avec la mer

Configuration inédite du déjeuner du dimanche, Alice partie en séjour éducatif à Belle-Île, Nina de passage cuisine pour ses grands-parents. Me viennent des images fugitives des repas chez ma mère, ou chez ma tante, un manque.

Dans la salle d’attente, la radio diffuse une revisite des Parapluies de Cherbourg, les murs sont couverts de hautes bibliothèques, chargées de livres et d’œuvres encadrées, peintures, gravures, photographies, on ne sait pas si on peut réellement consulter les ouvrages, et la sensation d’être dans l’intimité du médecin.

On me dit il faut battre le fer… Je n’y arrive pas, me heurte aux refus polis, on me répond rentrée littéraire, et je ne suis pas légitimée par une maison d’édition, ne pas forcer, ne pas chercher à utiliser les canaux de l’édition traditionnelle. Désillusion balayée par le message de P, la lettre manuscrite de C, ce qu’ils ont pensé de Comanche, ça rassure.

Depuis la pente de l’avenue Parmentier, la place Voltaire à l’horizon, je me surprends à vouloir regarder au-delà, me mets en danseuse, une posture de l’enfance, soudain je suis transportée sur la route de Carolles — on l’appelait à l’époque route nationale, toute la menace qu’il y avait dans le mot nationale. Je m’attends à voir la mer alors que je n’ai pas quitté la ville.

Chaque bouffée d’air frais comme un sursis, je ne parviens plus à me réjouir des voyages qu’entreprennent mes ami·es. Déjeuner avec Gracia, elle fait mon portrait, édite un mini tirage avec son imprimante qui ressemble à un jouet, je le colle sur le numéro open art de la revue Radicale qu’elle a ornée de fragments calligraphiés.

La mère à l’enfant, attention à pas te manger le doigt en croquant, je pense à toutes ces peurs entretenues stupidement auprès des enfants, on en parlait avec Philippe ce matin en observant l’araignée qui cheminait sur le plafond.

L’homme et la femme sont assis à la terrasse d’un bar du bas Belleville, portent tous les deux des lunettes de soleil, elle dit en souriant la main repliée qui soutient le menton, si j’avais le choix là ce serait une plage déserte avec la mer, il répète faussement convaincu ah oui une plage déserte avec la mer, j’aimerai écouter la suite, confirmer l’impression que c’est un premier rendez-vous.