
C’est le bruit qui m’a réveillé, ça cognait fort, trois fois, puis encore, ça résonnait dans tout l’appartement, c’était la nuit mais c’était peut-être déjà le jour, je ne sais plus. J’ai senti son corps se raidir d’un coup dans le lit, je ne savais pas pourquoi mais lui savait. Il a allumé la lumière, il ne m’a pas parlé, juste regardé. Il s’est levé tout de suite, comme s’il était prêt depuis longtemps. Il a attrapé sa veste et l’a retournée d’un geste, les poches vidées d’un coup, tout est tombé sur le sol — papiers, allumettes, peut-être un mouchoir — il ne m’a rien dit mais ses yeux faisaient silence. J’ai entendu les pas de mon père, dans le couloir, il râlait à demi, encore à moitié endormi, c’est sûrement lui qui a ouvert, ou ma mère, ou peut-être qu’ils ont ouvert ensemble. Il y a eu un moment de flottement, une voix grave, puis le bruit de bottes, ça y est, ils étaient là, dans l’appartement, je ne savais pas qui ils cherchaient, même si maintenant je sais que c’était lui, que c’était Antoine. Il a noué son écharpe sans me quitter des yeux, avec une lenteur étrange, comme s’il avait tout le temps du monde, comme s’il faisait ça tous les matins, nouer son écharpe avec lenteur, moi je suis resté couché dans le lit, soudain j’ai eu froid, peut-être le vide qu’il avait laissé dans le lit. Je n’ai pas bougé, je tremblais, la porte de la chambre s’est ouverte, deux hommes en uniforme sont entrés, ils n’ont pas crié, ils ont juste prononcé son nom et Antoine s’est avancé vers eux sans me regarder, sans rien emporter, les mains vides, les poches retournées, il a enfilé son manteau qui était posé sur la chaise, ils l’ont emmené comme ça, il a disparu sans un bruit. La porte est restée ouverte derrière lui, béante, dans la chambre à coté mes soeurs ne se sont pas réveillées, ou alors elles ont fait semblant, je n’ai pas pleuré, pas encore, mes jambes étaient dures et froides sous les draps, j’entendais les pas dans le couloir. La lumière est restée allumée après qu’ils soient partis, tout le monde s’est mis à bouger dans la maison, ma mère était maintenant dans la chambre de mes sœurs et je n’osais toujours pas bouger, mon père s’est mis à parler trop fort, comme pour couvrir un bruit plus terrible encore, moi je suis resté dans le lit, le cœur bloqué dans la gorge, ça cognait, là, à l’intérieur. Antoine je ne l’ai pas revu depuis. C’est l’écharpe que je revois toujours, plus que son visage, ses mains autour, cette manière de la nouer lentement comme si c’était une habitude, comme s’il avait voulu que je m’en souvienne, comme si ce geste-là valait adieu, plus que la lumière crue au-dessus de nos têtes, c’est ce geste-là que je retiens, plus que le bruit des bottes, plus que la peur, cette lenteur.
