un rapprochement soudain

Retrouvailles. J’entends D quitter la maison de très bonne heure pour Notre Dame. J’imagine son parcours dans la ville encore calme. Je l’envie. La maladresse des mots.

Un empressement, quelque chose de presque familial entre nous, sa délicatesse d’attraper mes mains pour les embrasser, un geste entre désuétude et tendresse. Je plante mentalement un décor où il y aurait celles et ceux de Corbera, il ne dépareillerait pas, il ferait partie du tableau, une évidence. Ce qui nous aide à vivre.

Fuir la fatigue, j’ai pris les billets pour Bruxelles le 1er mars, sur un coup de tête — ce qui est plutôt inhabituel, et me voilà sur le pont Lafayette. Je compte les années, la première fois que je suis venue à Lasne c’était il y a plus de six ans — vertige. Rien ne pourra plus jamais abîmer de t’avoir retrouvé. Le chassé croisé dans les pentes roulantes de la gare du Midi, le couscous, la Cambre. Dans la chapelle Je photographie la sixième station du chemin de croix pour D, même si j’imagine que seules les photographies qu’il prend lui–même ont un intérêt pour lui. Arrivée à Lasne, déjà nos rituels, comme ouvrir des boîtes remplies de photographies, marcher dans les chemins creux.

L’architecture, la couleur fade de la façade, la présence des câbles électriques, la manière dont la lumière traverse les fleurs de magnolias, quelques chose me transporte au Japon.

Nous rejoignons un groupe de marcheuses, la brume se dissipe déjà et je le regrette, je rêvais de photographier les nappes de brumes qui ce matin pénétraient le jardin. Une des marcheuses s’interroge de ma satisfaction à photographier le bunker, quand je ne vois que les arbres qui l’ont envahi, c’est leur triomphe qui me touche.

Échange avec Nina qui m’envoie, quand je lui demande si elle va bien, une photographie du ciel de Nice, rougi par le couchant, alors que je viens de me réjouir de la beauté de celui de Lasne, c’était comme si nos regards se croisaient, un rapprochement soudain.

quitter l’île et rêver (se)

Au moment de m’atteler au journal réaliser que je n’ai pas fait de photographies depuis notre retour, prolonger le voyage, au moins en images.

Quitter le balcon sur la mer, rejoindre Bastia, parcourir la ville du nord au sud, de la rue Droite aux hauteurs du boulevard Graziani, on a mangé des migliaciolli face à la mer, au fil de la journée le bleu a pris la place, justifiant le rituel goûter de glace noisette chez Raugi. En montant sur le Vizzavona, satisfaction d’un beau soleil, je fais une dernière photographie — la citadelle, avec le Yashica. On voit se projeter sur le pont inférieur des ombres mouvantes qui ne sont pas les nôtres, j’ai pensé que c’était mes fantômes qui m’accompagnaient au moment de quitter l’île, puis nous découvrons la terrasse dont nous n’avions pas vu l’accès. On longe le cap, on essaie de repérer la maison d’Erbalunga, la lumière est loin d’être idéale pour filmer, photographier. Un peu assommés par le soleil on se réfugie un temps dans la cabine. Quand nous nous décidons à ressortir, nous sommes au bout du cap sous averses, je photographie compulsivement les monts, les nuages, les lumières d’orages.

Marseille. Aurore flamboyante derrière la ville depuis le pont, quelques heures à tuer, petit déjeuner au comptoir Dugommier, passage devant l’entrée du Lycée Thiers, café cours Julien, oublier la violence du type avec regrets de ne pas l’avoir douché d’un verre d’eau, la Plaine, Longchamp, depuis le train apercevoir les fenêtres ouvertes de La Marelle.

Une de ses scènes préférées, c’est le mot qu’elle emploi, scène, c’est celle de Roland dans la voiture, avant qu’il ne quitte Monique. Ce qui me touche c’est que cette scène je l’ai complètement imaginée, elle est pure invention, il y avait seulement cette photographie, porteuse de sa propre fiction, mais aussi nourrie de toutes ces autres fictions qui m’ont traversées, surtout des scènes de film.

Ce que je découvre de sa vie, je devrais dire ses combats, me bouleverse, je lui demande si je peux, nous nous étreignons, nous ne devrions jamais renoncer à nos besoins de tendresse.

Le terrible blues de la reprise cède à un semblant d’élan retrouvé. Chercher de nouvelles manières de faire, les mettre en œuvre, s’y coller vraiment.

J’avais oublié mon jeu préféré pour le voyage, j’étais de toute façon trop chargée, chaque samedi c’est le rituel qui clôt la semaine que je déroule dans le journal. Reverse, je ne pouvais pas rêver plus étrange perspective pour revenir à l’écriture.

me rapprocher d’elle

Dans la chambre louée chez l’habitant pour le week-end, je referme ma valise, goûte l’impression fugitive d’être une autre. Des tartines beurrées et un café serré en terrasse près de l’hôtel de ville, ça me semble un luxe, puis rejoindre Arnold et Nicolai au musée des Beaux Arts. Devant le Campo Vaccino peint par Paul Bril, les garçons tentent de me rappeler la géographie de Rome, dont je ne garde que des images fragiles.

Je déroule triomphante le papier de soie qui emballe les outils de gravure achetés tout à l’heure quai de Montebello, caresse le bois vernis, le métal. Je rêve que l’effet sera le même qu’avec l’appareil photo — ce qu’il a changé dans ma pratique, mon rapport à la ville, au temps même. Est ce que chaque outil réveillerait un même désir ?

Jane — l’américaine — a bien reçu la carte achetée rue Monsieur le Prince, elle m’écrit — I want you to know that if you decide to come to Tampa sometime, I will give you a personal tour. Si les ciels photographiés par François Bon cet été m’ont fait forte impression, si l’idée d’approcher Key West comme mon père l’a fait en 1952 est tentante, j’ai toujours une résistance à l’idée d’aller en Floride.

Deux groupes de boulistes se partagent un terrain du boulevard Richard Lenoir. Un des deux groupes, d’une moyenne d’âge peut-être un peu plus jeune, a allumé une enceinte, Highway to hell. Ça surprend, pas raccord avec le flegme que j’ai toujours associé à la pétanque, sans doute de l’avoir vue pratiquée sous les pins en Corse.

En apprenant la nouvelle, l’émotion. Me revient la découverte de La place, au lycée en 1985 — la lecture qu’en avait fait Anne-Marie Garat, comme leurs parcours me semblent reliés. Savoir ce que je dois à Une femme, Les années, livres de chevet durant l’écriture de Comanche.

Devant la fromagerie l’attente, l’homme devant moi chante, je le trouve d’abord étrange, le menton légèrement rentré, ses yeux fixés vers la vitrine, l’oscillation du corps. J’écoute, ne reconnais pas le chant, il reprend plusieurs fois la même phrase, il parait enfermé dans les paroles, comme s’il en cherchait le sens, peut-être qu’il répète, l’étrange glisse vers le beau, Si vous me disiez que la Terre à tant tourner vous offensa…

Xavier évoque son rapport à Modiano. Au début des années quatre-vingt les livres alignés dans la bibliothèque de sa mère, leurs tranches particulières — à cette époque elle commandait chez France Loisirs. La lecture est venue bien plus tard. Ça m’a rappelé que cette semaine j’ai plusieurs fois regardé le bloc Kundera, quatre titres tout en bas de la bibliothèque des toilettes, Kundera en folio, auteur que ma mère dévorait à cette même époque. Je n’en ai jamais ouvert un seul, et si je le lisais aujourd’hui je crois que ce serait plus une manière de me rapprocher d’elle.

l’obstination des vagues

Les vases communicants, épisode 3. Partage de ciels et de vagues avec Pierre Ménard.

l’obstination des vagues (images Pierre Ménard / texte et voix Caroline Diaz)

C’était le même voyage, le même retour. Sur la promenade l’herbe avait jauni. On revenait toujours au même endroit mais cet été serait peut-être une dernière fois. Malgré l’obstination des vagues. Malgré leurs caresses effervescentes. Malgré la mémoire des étés d’avant, l’estompe du ciel, la laisse de mer. Je te demandais pourquoi pas l’ennui, pourquoi pas le sable, pourquoi pas nos corps roulés comme les morceaux de verres dépolis trouvés sur la plage dont on lèche la surface pour faire apparaitre le brillant pour se saler la langue. Ce serait la dernière fois d’aller chaque soir voir le soleil répandre un or vif sur la mer, la dernière fois contempler l’horizon sous ciel d’août, guetter le rayon vert, les métamorphoses. Effacer les spectres comme le vieux la vieille leur chagrin de parents orphelins. Un secret, comme la mer avalée par le sable, comme la danse enjouée de feux follets.
On a été dans la vallée ce serait la dernière fois. On marchait à couvert on cherchait les odeurs d’humus. C’était feuilles mortes, caillasses éclaircies, partout on devinait la soif. La rivière n’était plus qu’un fantôme, un silence résigné. Les feux follets dansaient encore. En plein jour ils dansaient et tu en as saisi l’improbable magie. Une charge électrique comme un orage. On a entendu des voix, le désir des vagues. On est reparti vers la mer abattus par la soif de la vallée. Une silhouette brulée dans le contrejour, insistante comme une ombre. Un instant j’ai cru que c’était moi. J’ai filmé les tamaris sous le vent, ça m’a fait sourire d’avoir grandi avec ce nom à l’oreille. Longtemps ignorante que c’était ces ramures doucereuses j’ai fait semblant d’avoir toujours su — comme de savoir le nom de tous les arbres. La mer nous appelait, on avançait lentement vers la plage. On ne voulait pas froisser le sable. L’empreinte des vagues. On se laissait gonfler de nos bouffées d’enfance.

Et la vidéo de Pierre :