alors que tout le monde se presse autour de moi

Arnold m’envoie une photo des dernières affaires d’ A-M, posées devant l’immeuble du passage du Chemin Vert. Sur un des cartons on peut lire « en route vers votre nouvelle destination ». Les volets clos, le panneau publicitaire de l’agence immobilière et la tristesse qui envahit. Il m’arrive souvent de photographier ces vies étalées sur les trottoir, d’imaginer le départ, la disparition cachée derrière, presque toujours je pense à une femme.

Pendant quatre jours ils sont restés près de l’avion à attendre qu’on les retrouve. Elle a déchiré des vêtements pour protéger les blessures de ses frères. Ils ont pris la farine de manioc transportée dans l’avion. Ils ont commencé à marcher à travers la forêt. Elle ne savait pas comment sortir. Ils ont laissé des indices aux endroits où ils dormaient. Cette histoire n’a pas fini de nous fasciner.

Il est assis sur le siège avant de sa voiture, portière ouverte, son corps tourné vers l’extérieur. Il trempe du pain dans l’huile d’une boîte de sardines, je remarque ses pieds mal chaussés, que la vitre arrière est remplacée par un tissage d’adhésif brun, je comprends que sa voiture c’est sa maison.

Je ne la reconnais pas, ni dans la salle, ni en terrasse, je me convaincs un peu trop vite que ce n’est pas le bon endroit. Je ne suis pas loin des Buttes Chaumont, décide de traverser le parc. C’est la première fois que je le fais à cette heure en été, le soleil déjà très bas poudre le sommet des herbes d’une lumière presque orange, je pense à la colline de Philopappos, c’était je crois notre dernier soir à Athènes, je regrette de ne pas avoir pris mon appareil photo.

Je renonce au Vélib pour prendre le temps de photographier les roses trémières sur le chemin, elles s’en donnent à cœur joie dans les bacs de végétalisation de la ville, d’après Philippe c’est du chiendent, je me souviens de celles qui poussaient devant les villas d’Edenville, elles me faisaient penser à d’élégantes marquises. Je tourne autour d’un papillon, doucement pour ne pas l’effrayer, alors que tout le monde se presse autour de moi, malgré la chaleur accablante.

Dans la salle il fait chaud, M ne se sent pas bien, se lève pour sortir, je ne pensais plus à elle mais on entend un bruit de chute, des voix, de l’agitation, enfin comprendre qu’il s’agit de M, nous sommes avec F les mieux placés en bout de rang pour nous approcher d’elle, la découvrir inconsciente, mise en PLS, autour déjà trois personnes en action, son regard effrayé au réveil, je ne me sens pas très fière, préoccupée par cet instant où j’ai eu peur de m’approcher d’elle.

Elle monte dans le métro presque désert, le reconnaît et elle sourit, surprise de le retrouver là, elle s’assoit en face de lui, il a les yeux rivés sur son téléphone, un casque sur les oreilles, ne la voit pas, elle me regarde, me sourit, me fait entrer dans la connivence de leurs retrouvailles, elle reprend son sudoku, puis le regarde, sidérée qu’il ne prête pas attention à elle, il ne bouge pas, elle me regarde, vérifie que je partage son étonnement, on se sourit encore, elle se décide à le toucher d’un petit coup de genou, il lève la tête, ça fait deux minutes que je suis là, il enlève son casque, tout doucement, oui je sais.