en mode mineur

Au Frac, Ce que pense la main. Frappée par Azulejos de Pascale Mijares. Des sacs de gravats ornés de motifs d’azulejos évoquent le tremblement de terre de 1755 et la reconstruction de la ville, mais aussi l’exil et la précarité qu’il entraîne. Retour à Endoume, retour de la lumière. Ne pas penser à demain.

Embrasser Nina qui poursuit dans le bus sa route vers la Friche, où elle va vivre désormais. Ça renforce mon envie de rester plus longtemps ici. Mais nous quittons Marseille avec cette nouvelle perspective, l’y retrouver.

Finir Les forces de Laura Vazquez, y puiser de la joie. Rédiger la notice biographique d’Antoine pour la dame du syndic, l’étrangeté de s’en tenir au factuel. Je fais une simulation de la plaque commémorative sur le site d’un fabricant en ligne — trente sur vingt centimètres, marbre synthétique, capitales à empattements.

Une habitante du 14 m’écrit, elle a eu mes coordonnées par le syndic et m’envoie la photo d’une affiche annonçant un hommage à Édouard Lambla de Sarria, l’architecte de plusieurs immeubles de l’avenue de Corbera, dont on fête le centenaire cette année. Je suis touchée par sa démarche, savoure ce moment où les choses viennent à moi sans que je les sollicite. Dans la foulée, je contacte l’organisateur de l’événement, descendant de l’architecte. J’évoque mon projet, il m’invite à prendre part à la manifestation. Je participerai à une collecte d’histoires et le portrait d’Antoine accompagné d’un fragment de Corbera sera exposé dans la galerie qui accueille l’évènement, ça commence dans à peine deux semaines, une précipitation qui me va bien, ne laisse pas de place au doute. Je ne sais jamais comment présenter ce projet— une enquête, un récit, et je ne suis pas sûre d’avoir envie de l’enfermer dans un livre.

Vu Piero. J’étais en mode mineur, mais on a fait le point sur la Normandie, Norma, Aldo et Corbera. C’était calme, automnal. Il m’a offert une carte japonaise, j’étais la fille sous le parasol. Il est partant pour me trimballer en voiture de l’avenue de Corbera à la rue des Saussaies, même s’il est peu probable que nous prenions le même itinéraire que celui du 7 mars 1944.

Blue mood. Paris pesante. Peut-être les commémorations à venir du 13 novembre, dix ans déjà. La soirée dont j’ai l’impression de me souvenir précisément. Je décide de visiter le salon des éditeurs corses. J’ai aimé les livres découverts chez Magali à Nice, édités par Punto e Basta. Avant d’arriver à l’Hôtel de l’Industrie, j’affronte la foule sur les trottoirs du boulevard Saint-Germain, des phrases lancées avec arrogance. Je me sens déplacée, être au cœur de Paris et le sentiment que ce n’est pas ma ville. Le berger et la jeune fille de la fontaine pastorale de Saint-Germain me réconfortent avec leur pose désinvolte, j’y vois une tension amoureuse, peut-être est-ce d’avoir revu le très beau Witness. Au salon, je rencontre Gino, seule à tout mener dans sa maison d’édition. Nous avons à six ans d’écarts fréquentés le même collège, avons bien sûr des connaissances communes, c’est toujours ce que font les Corses quans ils se rencontrent, un etat des lieux pour marquer l’appartenance à l’île, un village, une famille. Architecte, mais aussi photographe, chacun des livres qu’elle édite est un objet singulier. Je repars adoucie, alourdie de quelques livres et de l’envie de faire les miens. C’est une envie qui revient souvent., qu’il faudra écouter un jour. Il y a quelques belles lumières à saisir sur la Seine. Voulant m’approcher du mémorial de l’église Saint-Gervais, je découvre que tout est bouclé, le site défiguré par des gradins et des projecteurs en cours de tests. Je remonte par la rue des Archives, place de la République, quelques fleurs et bougies s’accumulent au pied de la statue.

s’échapper du temps présent

Nos marchons dans les sentiers autour, hésitons devant les pentes trop fortes, nous rions, renonçons quand l’humidité perce nos chaussures. On fait mine d’oublier la tempête de la veille, je ne sais pas ce que j’espérais. On met la petite sur le poney, on aura même pas envie de s’attarder sur la plage, la mer était trop loin, le sable et le ciel étaient gris.

Me revient la chanson que Nina avait choisie pour le mariage de J et M, je me suis mise à chantonner, la voix est prise par le manque de sommeil, des mots me manquent. Je pense à elle, j’ai l’impression qu’elle chante avec moi, que nos voix nous aident à nous rejoindre.

L’éclat du soleil sur les trottoirs humides m’aveugle. C’est souvent la lumière qui me dirige, surtout quand je change d’itinéraire. Alors la ville se métamorphose, pas tout à fait étrangère mais nouvelle, alors je peux me satisfaire du bleu d’une porte, de l’ornementation d’une façade.

Le froid mord méchamment, les vitrines se chargent de décors de Noël, des jeunes gens semblent s’amuser à l’intérieur des bars, ça devrait me réjouir, mais je n’y arrive pas, peut-être que c’est novembre.

Sur le blog de Piero, un billet retient mon attention avec ses photos de boutiques de chaussures, j’ai une tendresse particulière pour ces magasins vieillots, sans doute une réminiscence de l’enfance, l’achat de chaussures neuves, c’était le seul truc que ma mère refusait qu’on nous donne, les chaussures.

Ma langue explore la béance laissée par la couronne déchue, mes phalanges se logent entre les lèvres, des réflexes archaïques, la sensation furtive de s’échapper du temps présent, mais le corps autour rappelle ses faiblesses.

L’économie des gestes, la blouse, la robe de chambre, le moulin à café, le corps enfermé dans les cadrages serrés, les jeux de lumière, l’acajou brillant de l’armoire, la grille accordéon de l’ascenseur, le pliage du linge, la lecture de la lettre de la sœur au Canada — d’un souffle, l’épluchage des pommes de terres, à plein d’endroits penser aux femmes qui m’ont précédées dans la famille. Puis le désordre de la mèche sur le front, le glissement dans la folie.

nos plans sur la comète

Froid mordant qu’on n’attendait plus, j’ai une pensée pour les fleurs imprudentes. Au parc Montsouris, les mains frileuses, le Yashica trop lourd, je peine à prendre des photos. Les yeux aux ciel, premier quartier de lune.

Je prends mes billets pour Nice, Nina me dit la joie que ça lui fait, nous faisons chacune nos plans sur la comète, des marches sur le mont Boron, des cafés sur la plage, l’exploration de la Villa et le musée Matisse, empêchés la première fois, peut-être même découvrir le reflet de la Corse dans les basses couches d’air.

Une médium s’abonne à mon compte Instagram, elle se définit comme messagère spirituelle, vit au Québec. Peut-être que je parle un peu trop de mes fantômes. Insomnie. Sous le drap chercher son contact, sans le réveiller, cheville contre cheville, trouver l’apaisement dans ce peau à peau.

+4 degrés, et ce scénario ne serait pas le plus pessimiste. Sur le net découvrir un article, Pour refroidir la Terre, faut-il de la poussière de Lune ? Je ne lis pas la suite, la poésie du titre me suffit, même si ça ne lutte pas contre l’incertitude, se recroqueviller.

Sa main attrape mon col pour rapprocher nos visages, on dit à vélo. Ça me fait rire, et sa délicatesse de ne pas exposer la faute à tous me touche. Comment on en arrive à parler des tiroirs vides après la mort de ma mère, je ne sais plus, mais elle se souvient d’une grande jupe noire à fleurs que Pierrot lui avait léguée, tiens si je la retrouve dans mon déménagement je te la donnerais.

Nous avons diné près du poêle, il y avait des reflets rouges sur le canal. Depuis l’autre rive le quai était comme une scène étroite traversée par les joggeurs et des cyclistes. Je fais un plan, en pensant aux rushes qui s’accumulent sur la carte SD, et dont je ne fais rien.

R m’envoie les premières pistes pour la couverture de Comanche. Heureuse de l’évidence de la photographie que j’ai choisie. C’est bien la seule chose sur laquelle je n’ai jamais eu de doute, cette photo — sa beauté et son mystère—, ce sera la couverture. Plusieurs fois dans la journée je vais ouvrir le fichier et c’est une joie immense.

dans le silence démuni

Je lui envoie un texto pour savoir si elle dort non pourquoi ça te dit un café au soleil ? Le ciel était d’un bleu intense, le monde semblait encore normal mais me revenait quelque chose du 14 novembre, bloqué dans l’air froid.

Avec Philippe et Alice nous traversons le Jardin des plantes, tout Paris est là non ? La masse jaune du mimosa m’attire, sentir les vagues poudrées, anisées, observer longtemps les moucherons qui volent dans la lumière, j’envoie cette photo à Anne-Marie. Le lendemain elle m’écrit qu’elle était aussi au Jardin des plantes, nous aurions pu nous y croiser, elle a photographié des perruches amoureuses, elle dit que ça ne pèse pas lourd contre les bombes mais ça met le cœur en joie.

Catherine S m’écrit, à la lecture d’un fragment de Comanche où j’évoque la pellicule silencieuse alors que tu t’adresses au caméraman. Elle me suggère de faire appel au monde des sourds, que peut-être quelqu’un pourrait lire sur tes lèvres. Je suis très émue que sa pensée rencontre la mienne, j’avais silencieusement formulé l’idée, puis avais renoncé, tu dis peut-être trois mots, dans le contexte peut-être rien d’essentiel mais je ne veux rien écarter.

C’est comme un poids mort, poitrine lourde. On entend le mot sidération. Je pense à ces mots stupides qu’on nous balançait dans l’enfance, On voit que tu n’as pas connu la guerre. Je pense à mes morts, je ne me repose pas sur eux, je n’attends pas de réponse, pas de réconfort, je les fais me rejoindre. Sidération c’est quand mes morts me rejoignent, et que je peux lire l’incrédulité sur leurs visages.

Nous allons chez Dishny au prétexte de fêter l’anniversaire de Philippe, je découvre que la fresque de la plage sri-lankaise qui décorait la salle a disparu, Alice me dit que ça fait des mois, je sens monter une nostalgie sourde. Je ne peux m’empêcher de penser que cette plage va disparaître pour de vrai.

Cet amour du bleu, c’est nouveau, mais le bruit de la mer il y a longtemps que je l’aime.

N s’inquiète de la puissance de l’arme nucléaire russe, je lui dit qu’elle peut aussi lire le rapport du GIEC, je m’en veux aussitôt d’ironiser. M nous console, le prix d’un chocolat chaud à Guingamp est dérisoire. J’attends que le mat du ciel cède à la lumière, dans le silence démuni j’attends, je ferais bien de me taire.

au coin du feu

île d’Elbe, depuis Poretto le 4 août 2020

Je n’ai jamais lu Claude Simon. Je découvre via une vidéo de François Bon, Leçon de choses, j’écris à Philippe, je crois que c’est par ce titre que je voudrais commencer… pas trop gros… tu l’aurais ? Il me répond que oui, qu’il me le rapporte ce soir, Nous sommes enfermés (confinés) au SDE par mesure de sécurité suite à l’attaque rue Richard Lenoir près du siège de Charlie Hebdo. C’est un peu particulier. Comme nous sommes dans le même quartier je t’en parle. Je pense qu’il n’y a aucun danger, mais bon… Je me sentais flottante déjà depuis le matin, désœuvrée, là ça me file le vertige. Je crois qu’ils ont été arrêtés depuis du côté de Bastille. Attaque à l’arme blanche. Vivement ce week-end qu’on se retrouve avec un bon livre au coin du feu de notre cheminée 😉. Évidemment une cheminée on en a pas. Je fouille dans le disque dur, en quête d’une image réconfortante, et c’est l’île d’Elbe qui a surgit, telle que je l’ai découverte depuis le jardin d’Ugo cet été, de trois quart, alors que je ne l’avais vue que de face jusqu’alors. Le point est sur les palmiers qui forment le cadre,

au delà c’est légèrement flou.

streetball

Jesus Is Lord. La ville prétend toucher le ciel, sur le rooftop la jeunesse dorée en miroir, la découpe rectangulaire bleue piscine et Empire panorama avec DJ, en finir, plongeon puis surf entre brownstone et béton-verre, arc de triomphe de pacotille mais c’est dans la cage que ça se joue, ça joue sévère, rebondissements sur l’asphalte, cris, sueur, get that shit out of here, si tu préfères y a une partie d’échecs à côté.