l’apprentissage de l’attente

Relecture de l’épreuve papier de Comanche, redécouvrir la respiration du texte, je trouve encore quelques détails à corriger. Surmonter la déception du défaut d’impression de la couverture, je vais devoir attendre un nouveau tirage. Faire ce livre, c’est faire l’apprentissage de l’attente.

La petite dame enjouée à l’homme qu’elle prend pour un jardinier, félicitations pour l’entretien, ah c’est pas moi, je n’y suis pour rien, il lève les mains comme pris en faute et laisse la dame désappointée.

Je suis partie avec les chants d’oiseaux, j’ai pensé à certains réveils d’Erbalunga. Je traverse le dédale immense de l’hôpital, secteur marron, violet, jaune, j’entends encore la ouate dans la voix de ma tante quand elle disait à Bicêtre. Il me dit ce que je veux entendre, j’ai bien fait de venir, mais le cas d’A était atypique, il m’en parle comme si c’était hier, alors que ça fera dix ans en juin. Puis on m’oublie dans le couloir, je n’aurais pas le temps de passer au cimetière.

Avec quelques ami.es du Tiers Livre au café Pierre, Xavier nous décrit la valise qui contenait les cahiers d’Antonin Artaud, comme elle mettait le bazar sur le compactus de la BNF — les livres y étaient ordonnés par ordre de réception. Dans son souvenir elle se trouve sur une étagère du bas, tout proche du Journal d’un curé de campagne. Sa parole passionnée nous donne l’envie d’un livre.

Notre voisine vient chercher des conseils auprès de Philippe, sa famille possède des cartons entiers de négatifs sur verre d’un grand-père photographe et voyageur, qu’elle voudrait léguer à un fond d’archives. On en a contacté plusieurs, mais on ne nous répond plus, dans la famille on est pressé de s’en débarrasser. Je suis un peu effarée, il doit y avoir des trésors ? oh mais on va garder garder les tirages positifs… nous restons à échanger sur le seuil, à peine ai-je refermé la porte qu’Alice me lance en riant oh toi tu étais un peu jalouse.

Elle interpelle la serveuse, tiens mais vous êtes gauchère, moi aussi je suis gauchère, c’est pour ça que je le remarque. Je raconte à Alice comme petite je rêvais d’être ambidextre, les heures passées à tenter d’écrire joliment de la main gauche, elle m’avoue qu’elle aussi. Le souvenir des changements de mains en séances de modèle vivant, le geste libérateur, dessiner de la main qui ne maîtrise pas.

Elle m’a regardée, j’ai eu l’idée de lui sourire, elle a cru que je l’encourageais, elle s’est approchée et m’a lancé bonjour on est des cathos de la paroisse Saint-Joseph, à côté… c’est bien mais ça ne m’intéresse pas. J’ai voulu photographier les première fleurs du cerisier de l’écluse, je pensai aux conseils d’Angelo à Osaka, laisser le soleil passer à travers les pétales pour restituer la délicatesse de la fleur, mais le ciel s’était chargé qui saturait affreusement les couleurs.

les derniers jours d’été

Début de semaine fébrile, il y a dehors une lumière magnifique, ce sont les derniers jours d’été mais je ne suis pas en état de sortir. Variations de Paul lu d’une presque traite — et dormir.

Le journal s’écrit à grands traits, j’essaie de visualiser la semaine, j’ai des absences, je n’ai quasiment pas fait de photographies, elles m’aident habituellement à resituer les petits événements, combler les vides. Je pourrais renoncer, mais toujours cette petite voix intérieure.

Je termine le montage de Rompez, Philippe mixe le son, me dit que ce n’est pas compliqué. Son intervention à ce moment-là me rassure, il est mon premier spectateur, j’aime l’équipe que nous formons. Je suis contente du résultat — il y a heureusement toujours des doutes, mais l’impression d’une forme complète, nourrie par la musique de Stewen qui a bousculé mon projet de montage initial. Aussi pour la première fois j’adapte un de mes textes, quand habituellement ce sont les images qui déclenchent l’écriture.

On parle de Comanche avec PCH, il l’aime beaucoup, il a relevé quelques petites choses, au fil de la conversation je relève son envie de plus de lyrisme, un besoin d’ancrage peut-être, de réalité, cette impression que tu planes un peu, ça oui je planais totalement même. En évoquant certains points du récit, les rencontres extraordinaires, la vitalité de Pierrot et Roland je suis émue, mais joyeuse.

Le départ à Senigallia – Arnold Pasquier, Gare de Lyon, août 1988

Arnold m’envoie une série de photographies prises lors de notre voyage à Senigallia durant l’été 88. M’amuse de les recevoir au moment où François Bon nous propose un atelier en appui sur de l’œuvre de Giacomelli. Je regarde les photographies, je ne me souviens pas de la ville. Je me souviens de la cuisine d’Angela, où sa mère préparait chaque matin des pâtes fraîches. Je me souviens d’un scarabée domestique. Je me souviens que je me suis trompée de train retour mais que le contrôleur avait été compréhensif.

le marché aux poissons, Senigallia, Arnold Pasquier août 1988

La jeune maman sur le pont des écluses Saint-Martin, son petit garçon dans la poussette, leurs regards plongés vers l’écluse bouillonnante, l’enfant est fasciné, la mère absente, triste, son corps parait lasse qui s’appuie sur la poussette.

Il fait froid, je pédale plus fermement. Surgit un groupe de pompiers qui courent sur la piste cyclable, je ralentis, ils s’écartent, se déportent sur les côtés en un mouvement presque dansé. J’aurais voulu filmer cette traversée, l’énergie de ce double mouvement, mon glissement à vélo, leurs corps comme une vague.

Petit échange avec Juliette, nous évoquons la longue attente. J’accumule pas mal de refus, ce n’est pas douloureux du tout, mais j’ai l’impression d’être enfermée dans une logique qui répond davantage aux petites phrases de l’entourage — tu devrais faire un livre, tu devrais te faire publier, je suis sûr qu’un éditeur — qu’à mon propre désir. J’aurais pu ne pas les écouter, je pourrais décider de ne pas attendre, faire le livre, mais je mets finalement ce temps à profit, j’explore d’autres territoires, j’apprends.