
Je suis revenue. Revenue, comme s’il y avait un chemin à rebrousser, une ligne qu’on pouvait suivre pour revenir là où… ce serait sans doute plus juste de dire revenante, je suis revenante, et ce n’est pas la première fois. Pourtant je ne suis pas morte pourtant j’ai bien cru mourir quand on m’a demandé de m’asseoir, quand on m’a dit… on n’avait pas besoin de me le dire déjà je savais, dès que le téléphone a sonné j’ai su. La douleur et la colère. Ça aurait pu me tuer, mais il y a les enfants.
Je traverse le hall lentement, l’air est plus froid que dans mes souvenirs, les murs, plus étroits. Au premier étage, la porte a été repeinte, laquée d’un caramel écœurant. La poignée, c’est la même, ronde, en laiton poli. Je ne frappe pas. Je reste là, immobile. Je pose ma main sur le bois. Je vois la cuisine, le moulin à café sur la desserte, l’œil dans le couloir.
Tout est si calme. Je devrais frapper, dire c’est moi, je suis là mais quelque chose me retiens. J’entends des voix de femme, un pas que je reconnaîtrais entre mille et c’est comme si le temps n’avait pas bougé.
Je pense elles sont là, je pourrais dire maman, Annie, je pourrais franchir le seuil et retrouver la table, la nappe damassée, la lumière du matin. Mais je ne bouge pas. Parce que ce serait mentir. Parce que celle qui est là devant la porte caramel n’est plus celle qui est partie. Parce que l’enfant que je viens chercher ne m’attend peut-être pas. Je ferme les yeux. Le sable les eucalyptus le parfum de sa peau. Ici l’odeur du café du buffet des cigarettes. Deux mondes se cognent en moi. Mon corps voudrait avancer mais mon cœur s’arrête. Je suis immobile, la main contre la porte, la douceur feinte du bois laqué sous la peau.
